Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

21/03/2014

Quitter le monde

douglas kennedy,quitter le monde,angela hewitt,variations goldberg

Dans le roman de Douglas Kennedy intitulé Quitter le monde, que j'ai lu récemment, la narratrice (américaine), qui tente d'échapper à un deuil et à une profonde dépression, quitte son pays pour aller vivre à Calgary, en Alberta.

Elle assiste à un concert donné par la pianiste Angela Hewitt (photo ci-dessus) au centre des arts de l'endroit (vraisemblablement le Jack Singer Concert Hall, dont le nom n'est cependant pas mentionné).

La pianiste est décrite ainsi: "la cinquantaine, pas vraiment belle mais avec un charme à la Simone de Beauvoir malgré sa robe en lamé bleu tapageuse".

Angela Hewitt interprète les Variations Goldberg, de Bach. Pour la narratrice, c'est le bonheur:

"Soixante-quinze minutes d'exploration d'un édifice musical fondamental, dans lequel se reflétait toute la palette des émotions humaines, de l'introspection la plus rigoureuse à l'optimisme exalté, de la méditation apaisée au désespoir le plus profond, de l'allégresse facétieuse à l'acceptation résignée de ce que la vie a d'éphémère...

(...) Chez moi, je me suis assise dans le fauteuil sans enlever mon manteau. J'étais encore remplie de gratitude pour ce moment musical si lumineux, si puissant que oui, je m'en rendais soudain compte, il m'avait permis d'échapper pendant une heure et quart à une affliction omniprésente".

douglas kennedy,quitter le monde,angela hewitt,variations goldberg

 

J'ai bien aimé ce passage, pour deux raisons. Premièrement, il exprime bien comment l'art, la musique dans ce cas, peut nous aider à "quitter le monde", c'est-à-dire nous transporter dans une sorte d'univers parallèle, où l'on oublie tout sauf ce qu'on est en train de recevoir à chaque seconde de l'instant présent.

Ce sont des moments de grâce, qui peuvent effectivement consoler, réconforter, offrir une sensation de plénitude, de pur bonheur au milieu d'une vie tumultueuse.douglas kennedy,quitter le monde,angela hewitt,variations goldberg,glenn gould,david jalbert

L'autre raison pour laquelle j'ai réagi fortement, c'est que j'ai moi-même eu le bonheur d'assister à un concert d'Angela Hewitt. C'était en 2001, à l'auditorium Dufour de Chicoutimi. Elle n'avait pas joué les Variations Goldberg, mais d'autres pièces de Bach, ainsi que de Beethoven et de Schumann. S'adressant au public, elle a raconté que, 36 ans plus tôt, elle était venue pour la première fois à Chicoutimi, comme candidate aux Concours de musique du Québec et du Canada. Elle avait remporté le premier prix dans sa catégorie: sept ans et moins.

douglas kennedy,quitter le monde,angela hewitt,variations goldberg

Elle et sa mère avaient logé dans ce même hôtel Chicoutimi où elle habitait le soir du concert. Et c'était un magnifique concert. Vous pouvez lire mon compte rendu en cliquant sur l'image du billet ci-dessus.

Quant aux Variations Goldberg, j'ai aussi vécu cette expérience de quitter le monde quand je les ai entendues en 2012 jouées par le pianiste David Jalbert à Métabetchouan: la description des réactions de la salle que j'en ai faite sur ce blogue (ici)  ressemble beaucoup à celle qu'il y a dans le roman de Douglas Kennedy.

Si vous voulez les écouter, par Glenn Gould, cliquez sur cette image:

douglas kennedy,quitter le monde,angela hewitt,variations goldberg, Glenn Gould, David Jalbert

 

 

17/03/2014

Werther: dentelle et performance

werther,jonas kaufmann,metropolitan,sophie koch

Sur le rideau qui cache la scène du Metropolitan Opera, avant le début de Werther, sont inscrits les mots "Joyeux Noel", pour souligner que la première scène montrera des enfants apprenant des chants de Noël. L'oeuvre est en français et ils ont voulu bien faire.

Mais ils ont oublié le tréma sur le "e" de Noël! Oups!

La mezzo-soprano Sophie Koch porte des robes assez hallucinantes, que l'ont dirait faites au crochet. Surtout la deuxième (visible sur la photo ci-dessous), blanc crème, complexe avec ses innombrables replis, superpositions, chevrons, boutons et changements de direction. Je ne saurais pas dire si c'est beau ou non, pas vraiment à mon goût, mais enfin c'est fascinant et peut-être fidèle à ce que les dames portaient à l'époque. Sa robe de nuit en dentelle légère a aussi ce petit air fait main, et même la robe de chambre qu'elle porte par-dessus semble tissée à la main. On pourrait en dire autant du costume de tweed que porte sa soeur.

werther,jonas kaufmann,metropolitan,sophie koch

Ce qu'il y a de plus remarquable dans cette production est toutefois l'extraordinaire performance du ténor Jonas Kaufmann dans le rôle-titre: presque toujours en scène, il doit chanter alternativement à pleine voix et presque tout bas. Dans la scène finale, il chante en mourant, couché par terre, puis sur un lit, parfois la tête en bas. Son grand air, Pourquoi me réveiller (un extrait en cliquant sur l'image ci-haut), est magnifique, livré avec intensité, sensibilité et justesse.

Un véritable marathon, exigeant mentalement et physiquement, qu'il court sans aucune difficulté (apparente: il prend bien soin de préciser en interview que c'est très difficile mais que cela ne doit pas paraître), dans un français impeccable, meilleur que celui de Sophie Koch, qui est pourtant française. Kaufmann, d'ailleurs considéré comme l'un des grands ténors de l'heure, chante et joue de façon admirable, et il est très bel homme en plus.

Cette oeuvre minimaliste de Jules Massenet  -nombre réduit de protagonistes et de choristes (une demi-douzaine d'enfants qui interviennent assez peu)- met donc en scène Werther, d'abord créé par Goethe dans Les souffrances du jeune Werther. Celui-ci est pris d'une violente passion  pour Charlotte, une jeune fille qui se refuse à lui car elle doit épouser Albert à qui elle est fiancée. Une passion romantique, maladive, qui bien entendu conduit au drame.

werther,jonas kaufmann,metropolitan,sophie koch

La mise en scène du réalisateur britannique Richard Eyre est à la fois simple et efficace, serrant au plus près l'évolution des personnages en modulant les infimes variations de leurs sentiments. La scénographie, signée Rob Howell (qui a aussi créé les costumes), encadre avec pertinence les chanteurs dans des espaces réduits, avec un recours fréquent (mais justifié) aux projections.

Bref, la production est assez réussie, mais au point de vue chant, exception faite de Jonas Kaufmann, la performance générale est plutôt moyenne. L'orchestre m'a semblé fort bon, et tous les interviewés, autant les chanteurs que le chef Alain Altinoglu, s'accordaient à louanger l'exceptionnelle profondeur musicale et orchestrale du compositeur.

Werther était projeté au cinéma Jonquière, en direct du Metropolitan Opera, le samedi 15 mars 2014.

 

03/03/2014

Prince Igor: slave de haut en bas

Oksana Dyka, prince igor,borodine,tcherniakov,ildar abdrazakov,oksana dyka,mikhail petrenko,metropolitan,cinéma jonquière

Un ancien critique new-yorkais devenu blogueur expliquait récemment (ici) pourquoi il avait quitté la salle après le premier acte de l'opéra Le Prince Igor, présenté au Metropolitan Opera de New York. Bizarrement, l'idée de m'en aller m'a également traversé l'esprit quand j'ai assisté samedi dernier à la projection de cet opéra au cinéma Jonquière, mais pas pour les mêmes raisons.

L'action de ce premier acte m'avait semblé confuse, l'éclipse solaire était vue de l'intérieur d'un bâtiment, ce que je trouvais facile et paresseux comme idée de mise en scène, et la présentation des Danses polovtsiennes dans un champ de coquelicots m'était apparue du  dernier kitsch.
De plus: je ne comprenais pas (ou très peu) où étaient présentées les projections cinématographiques en gros plan; l'action, qui se déroule en principe au Moyen Âge, était transposée, sans grand bénéfice, quelque part au début du 20e siècle. Bref, tout ça m'a semblé assez ordinaire.
Rencontrés à l'entracte, mes compagnons de visionnement semblaient pour leur part conquis par ce qu'ils avaient vu. J'étais d'accord avec eux sur au moins un point: la musique était belle et la distribution, entièrement slave, formidable. J'ai donc décidé de retourner à mon siège après le premier acte, et je ne l'ai pas regretté.

La prestation de la basse Mikhail Petrenko (dont j'ai parlé dans le précédent billet), fut l'étincelle qui m'a fait embarquer dans l'aventure et aimer ce que je voyais et entendais. Ceci malgré mon inconfort face à la mise en scène (signée Dmitri Tcherniakov) et surtout à la réalisation pour le cinéma de cet opéra.

Dans le rôle du prince Galitsky, Petrenko fait montre d'un si beau timbre et d'un jeu dramatique si convaincant que j'ai été conquise par ce méchant, dépravé, violeur et buveur!


La musique m'est apparue plus belle aussi, grâce notamment aux airs poignants chantés par Oksana Dyka (on peut l'entendre en cliquant l'image ci-haut), soprano ukrainienne au visage à la fois expressif et serein, aux traits inoubliables, jamais déformés ni tordus par ses efforts musicaux pourtant incontestables.

Bref, je me suis abandonnée à cette histoire qui met en évidence les remords qu'éprouve le prince Igor pour avoir entraîné ses soldats dans la guerre: son armée a été détruite et il a été fait prisonnier par le Khan Konchak.
Les interprètes, slaves mais pas nécessairement russes (de même que le directeur musical, le metteur en scène et tous les autres intervenants de la production), sont tous excellents. Outre Oksana Dyka, il faut aussi nommer entre autres Ildar Abdrazakov, qui joue avec assurance le rôle du prince Igor, la mezzo géorgienne (donc pas du tout slave celle-là, m'indique l'érudit en résidence)  Anita Rachvelishvili, qui nous offre une remarquable et sensuelle Konchakovna (fille du Khan), de même que la basse slovaque Stefan Kocan, qui incarne le Khan.

prince igor,oksana dyka,metropolitan opera,cinéma jonquière,ildar abdrazakov

Dommage que la mise en images pour le cinéma, qu'on appelle pompeusement la réalisation et dont on se passerait la plupart du temps, ait été particulièrement pourrie. Des gros plans, très peu de vues d'ensemble, de quoi égarer le cinéphile.
J'ai appris après coup que les choristes qui chantaient dans les danses povtoliennes se tenaient sous la scène: aucun moyen de le savoir en écoutant la retransmission puisque la caméra n'a jamais daigné nous montrer ces choristes. Frustrant, vraiment.
En revanche, les interviews étaient fort intéressantes, malgré quelques moments confus dus à la présence d'une interprète (les artistes cessaient de parler russe et se mettaient à l'anglais, de sorte qu'elle devenait inutile!) et au trac du nouvel hôte des lieux, Eric Owens.

De plus, il était fascinant d'observer les changements de décors: des structures gigantesques pour la mise en place d'un édifice dévasté par les bombardements, les feux allumés (par les survivants) dans des poubelles et même dans une baignoire!
Bref, j'ai bien fait de rester...

 

02/03/2014

Tour de magie à l'opéra

Le théâtre, l'opéra, toute performance sur scène procède d'un art de l'illusion parfois poussé très loin.

prince igor,borodine,tcherniakov,ildar abdrazakov,oksana dyka,mikhail petrenko,metropolitan,cinéma jonquière

(La basse Mikhail Petrenko © Cory Weaver, Metropolitan Opera)

Une prodigieuse illustration de cela me fut proposée par la trajectoire d'un mannequin, lors de la projection de l'opéra Le Prince Igor  au cinéma Jonquière, en direct du Metropolitan Opera.
Cette trajectoire, seuls ceux qui ont vu l'opéra dans un cinéma ont pu la suivre, alors que les spectateurs présents dans la salle du Met n'en ont rien vu, puisque l'illusion dont je parle était justement conçue à leur intention.

Le mannequin: une copie grandeur nature du prince Galitsky.  Celui-ci, le méchant de l'histoire, règne en despote sur la ville de Poutyvl en Russie (aujourd'hui en Ukraine!), pendant que le prince Igor son beau-frère est retenu prisonnier dans un camp par le chef des Polovtses.
Galitsky, Vladimir de son prénom, trouve la mort dans une bataille à la fin du deuxième acte. Mais le mannequin, doublure inerte de Vladimir, ou plutôt du chanteur qui l'incarne, est allongé par terre et dissimulé derrière une table avant même le début de l'acte, comme nous avons pu le voir sur les images du changement de décor diffusées à l'écran pendant l'entracte.

prince igor,borodine,tcherniakov,ildar abdrazakov,oksana dyka,mikhail petrenko,metropolitan,cinéma jonquière

Le mannequin est donc là, invisible, dès le début de la scène dans laquelle nous pouvons voir Mikhail Petrenko, qui incarne Vladimir, chanter, jouer son rôle de méchant, interagir avec les autres artistes, jusqu'à l'attaque des Polovtsiens.

Après celle-ci, quand se dissipent les bruits, la fumée et la confusion, Vladimir est étendu au sol, sur le ventre, manifestement mort. Impossible de s'y tromper, c'est bien lui: le costume, la chevelure, et jusqu'à cette légère couronne dégarnie au sommet du crâne, que l'on reconnaît immédiatement car le dessus de sa tête est orienté vers la salle.prince igor,borodine,tcherniakov,ildar abdrazakov,oksana dyka,mikhail petrenko,metropolitan,cinéma jonquière

À l'entracte qui commence ensuite, l'hôte et animateur Eric Owens se tient sur la scène dévastée en compagnie justement de Mikhail Petrenko qui lui accorde une interview. Derrière eux, deux techniciens se présentent, font un petit signe de la main signifiant "on s'excuse" et repartent avec... le mannequin représentant Vladimir, qui gît toujours sur la scène!

Ce fut un moment extraordinaire, une sorte de clin d'oeil...  assorti d'un léger malaise. Comme un tour de magie dont le secret nous aurait été dévoilé par erreur.
Je me suis demandé pourquoi on avait eu recours à un mannequin, une doublure en quelque sorte, pour représenter le corps de Vladimir. Il me semble que Mikhail Petrenko aurait pu tout simplement s'étendre par terre et faire le mort.

Il y a sans doute de bonnes raisons à cela, mais je ne les connais pas. Tout ce que je sais, c'est que ce moment nous a donné un fascinant aperçu de ce qui peut se tramer en coulisse, et de tout ce qui nous est caché quand on est spectateur dans une salle.

(Mes propos sur la production elle-même dans le prochain billet).

11/02/2014

Avec tambours et trompettes

La Fille du tambour Major, SALR, Jean-Philippe Tremblay, MArianne Lambert, Dario Larouche, Dominique Côté

J'ai passé un autre beau dimanche après-midi (8 février 2014) grâce à l'opérette de la Société d'art lyrique du Royaume. Tellement de talent et de passion pour la mise en place de ce spectacle joyeux et enlevant, soigné jusque dans les moindres détails de la musique, du jeu, des décors et des costumes.

C'était donc cette fois La Fille du tambour-major, de Jacques Offenbach (livret d'Alfred Duru et Henri Chivot). Tous les solistes sont excellents, les choeurs se déploient magnifiquement. Et quelle belle musique! Sous la baguette de maestro Jean-Philippe Tremblay, ça sonne, ça swigne, ça flatte, ça berce et ça réveille. (Un extrait vidéo, sur le site de la SRC, donne une bonne idée de l'ensemble).

Le premier acte, à la fois charmant, long, complexe et comique, met en scène un groupe de nonnes dans leur couvent, qui prennent peur en entendant arriver un régiment de soldats français (on est en 1800, en Italie, où la guerre oppose les Autrichiens et les Français de Napoléon, qui l'emportera finalement à la bataille de Marengo). Elles s'enfuient en laissant derrière elles la jeune Stella, qui avait été mise en pénitence par la mère supérieure.

la fille du tambour major,salr,jean-philippe tremblay,marianne lambert,dario larouche,dominique côté

© Cindy Girard - Le Courrier du Saguenay. Dominique Côté et Marianne Lambert, en répétition.

Entre elle et le lieutenant Robert, c'est le coup de foudre. Quel couple magnifique forment Marianne Lambert et Dominique Côté, la soprano et le baryton qui chantent et jouent de façon superbe. Leur duo d'amour, tendre, intense, harmonieux, nous emporte dans un rêve romantique.

Bien entendu, l'intrigue est pleine de rebondissements: Stella est emmenée par son père le duc, menacée d'un mariage forcé avec un riche barbon. Le duc (qui en réalité n'est pas son père) est forcé par décret (!) d'accueillir chez lui les soldats français. D'où retrouvailles entre Stella et Robert, et aussi entre la duchesse, et son premier mari, le tambour-major du titre  (l'excellent Alexandre Sylvestre). Dans le rôle de la duchesse, Nathalya Thibeault est irrésistible, à la fois de drôlerie et beau chant (on la voit  sur la photo ci-dessous avec le délirant prétendant de sa fille, joué par l'inénarrable Christian Ouellet).

la fille du tambour major,salr,jean-philippe tremblay,marianne lambert,dario larouche,dominique côté

Aveux donc de la duchesse sur les origines de sa fille, intrigues, complots, fuites. On se retrouve à Milan où les combats s'intensifient.
Mais ce sont des soldats d'opérette, plus préoccupés d'aimer que de se battre... pour le plus grand plaisir du public: salle du théâtre Banque nationale comble (au parterre) et comblée.
Bref un petit bijou concocté par les suspects habituels, cette équipe allumée qui reprend chaque années les commandes de ce spectacle fou et doux. Chapeau à Dario Larouche pour sa mise en scène colorée, inventive, efficace et éclairée.

_______

Innovation cette année: les surtitres. Il y a longtemps que je les réclame et ils sont bienvenus. Peut-être pas absolument nécessaires cette fois-là, vu l'impeccable diction de tous les chanteurs et chanteuses. J'ai presque tout compris, alors même que ces surtitres n'étaient guère lisibles du balcon où j'étais assise.
Ceci dit, il est tout à fait réjouissant que la SALR offre cet accommodement à son public, comme le font les autres maisons d'opéra, et ce même pour un livret en français. Plusieurs concerts et spectacles (de la SALR ou peut-être d'autres producteurs) pourront sûrement bénéficier de ce service dans l'avenir.

____________

On en parle ailleurs:

Roger Blackburn, Le Quotidien (c'est bien lui l'auteur du texte!)

Christiane Laforge, Orage sur Océan

18/01/2014

Musique, théâtre, convergences...

septième nord,catherine bégin,boieldieu,valérie milot,violons du roy,christine,la reine-garçon,lawrence anyways,téléroman

Deux événements convergèrent durant la période des Fêtes pour ranimer dans ma mémoire les images d'une femme et d'un téléroman.

Tout d'abord, un cadeau offert par mon fils: le plus récent disque de la harpiste Valérie Milot et des Violons du Roy. Ils jouent trois concertos pour harpe, notamment celui de François-Adrien Boieldieu.

Un très court passage du 2e mouvement servait de thème à l'un des premiers téléromans que j'ai écoutés, Septième nord.

septième nord,catherine bégin,boieldieu,valérie milot,violons du roy,christine,la reine-garçon,lawrence anyways,téléroman

La vedette en était la comédienne Monique Miller, l'action se déroulait dans un hôpital, et comme toute série médicale qui se respecte, elle mettait en scène des médecins et des infirmières, des histoires d'amour, de jalousie, de coucheries et de tromperies. Tout ça me fascinait et me troublait car à, l'âge que j'avais (16 ans), comme la plupart des filles et même des garçons de mon âge, je n'étais pas très délurée côté sexe.

septième nord,catherine bégin,boieldieu,valérie milot,violons du roy,christine,la reine-garçon,lawrence anyways,téléromanComme j'aimais beaucoup ce thème musical (vous pouvez l'écouter en cliquant ci-contre sur la photo de Monique Miller), j'ai acheté le disque pour écouter en entier l'oeuvre de Boieldieu, ce que j'ai fait beaucoup, beaucoup... puis j'ai écouté autre chose. En l'entendant à nouveau, 50 ans plus tard, je me suis rendu compte à quel point cette pièce, qui serait complètement tombée dans l'oubli sans Septième nord, est belle et élégante.

L'événement bien triste qui est venu s'y juxtaposer, c'est le décès de la comédienne Catherine Bégin, survenu le 29 décembre dernier. On a mentionné alors qu'elle avait joué le rôle de Renée Daigneault dans Septième nord. Je ne me souviens plus très bien de son personnage, pas plus que des autres... Et je l'ai ensuite vue régulièrement dans plusieurs autres téléromans, (liste complète de ses rôles à la télé, au cinéma et au théatre).

En apprenant son décès, j'ai réalisé que je l'avais vue à deux reprises, très récemment: dans le film Laurence Anyways, de Xavier Dolan: je n'ai pas beaucoup aimé le film, mais sa prestation à elle en vieille tenancière de bordel était très juste.

septième nord,catherine bégin,boieldieu,valérie milot,violons du roy,christine,la reine-garçon,lawrence anyways,téléroman

Et surtout il y a moins d'un an, j'ai vu et admiré Catherine Bégin sur la scène du théâtre Banque Nationale, dans la pièce Christine, la reine-garçon, de Michel Marc Bouchard: elle y jouait l'insupportable reine-mère (photo ci-dessous): un petit rôle où elle excellait, comme tous les acteurs de cette géniale production, dont j'ai parlé ici.

septième nord,catherine bégin,boieldieu,valérie milot,violons du roy,christine,la reine-garçon,lawrence anyways,téléroman

C'est en écoutant le concerto pour harpe de Boieldieu que j'ai salué le départ discret de cette grande dame du théâtre.

10/11/2013

Ah! Tosca!

Tosca, Roberto Alagna, Patricia Racette, Metropolitan Opera, Frizza, Bondy, cinéma Jonquière

Ah! Tosca! Puccini! Vissi d'Arte! E lucevan le stelle!
E(t) tout le reste! Histoire tragique: amour, désir, haine, cruauté, jalousie, vengeance: passions mortelles! Politique, guerre, complots, trahison. Musique tendue et fluctuante: elle court, danse, rit et rugit et nous emporte dans son irrépressible courant.
Une des belles productions du Metropolitan Opera auxquelles j'ai assisté. Peut-être pas la mieux chantée, cependant. De ce point de vue, le ténor français Roberto Alagna (qui incarne le peintre Mario Caravadossi, amant de Floria Tosca) sauve la mise, avec son timbre incomparable, son chant naturel, sa diction impeccable, son jeu dramatique qui témoigne d'un engagement total: il se lance sans filet (autre que son immense expérience) dans les écueils de la partition et s'en tire (malgré quelques failles ici et là) avec les honneurs. Sa grande aria E lucevan le stelle (sur la vidéo ci-dessous, en répétition au Met): ce fut beau, émouvant... et fort applaudi à New York.

Le reste de la distribution excelle au jeu dramatique, mais autrement... Patricia Racette en Tosca est plus émouvante que vocalement séduisante (on peut écouter son Vissi d'arte sur la vidéo ci-dessus).

Quant au baryton géorgien George Gagnidze, aussi terrifiant que possible dans le rôle du méchant Scarpia, il a certes le physique de l'emploi, l'attitude imposante et menaçante qui convient, mais il chante de façon très ordinaire, manquant singulièrement de musicalité. Pour les rôles secondaires, c'est en général assez correct, sans plus.

Tosca, Roberto Alagna, Patricia Racette, Metropolitan Opera, Frizza, Bondy, cinéma Jonquière


Ceci dit, c'est toute la production (signée Luc Bondy), autant les décors, que l'orchestre (dirigé par Ricardo Frizza), le jeu, les déplacements, la synchronisation, la mise en scène (Richard Peduzzi), les costumes, bref, si on excepte quelques incohérences de détail, l'ensemble fonctionne et fonctionne vraiment bien.
Contrairement à d'autres livrets d'opéra, celui-ci (d'après la pièce La Tosca, de l'auteur français Victorien Sardou) offre une progression dramatique vraisemblable: le récit est fluide, les événements s'enchaînent logiquement, les motivations des personnages sont claires: on les comprend, à défaut d'y adhérer (!).
La tension de certaines scènes est à la limite du supportable: par exemple l'exécution de Cavaradossi, ou encore l'affrontement (ci-dessous) entre Tosca et Scarpia (celui-ci voulant obtenir des faveurs sexuelles en échange de la vie de son amant), qui se termine par un meurtre sanglant.

Tosca, Roberto Alagna, Patricia Racette, Metropolitan Opera, Frizza, Bondy, cinéma Jonquière

Les deux entractes furent très longs, car il fallait beaucoup de temps pour mettre en place les décors gigantesques. Mais vraiment pas ennuyants: on pouvait, comme c'est souvent le cas aux diffusions du Met, observer le travail des machinistes et autres employés qui font et défont les planchers, soulèvent et remplacent les murs, nettoient le sang (!) et la poussière.

Nous avons même eu droit, en plus des interviews avec les interprètes réalisées par l'hôtesse Renee Fleming, à une fascinante rencontre avec le charpentier en chef.
Première fois que je voyais une représentation complète de Tosca: j'ai adoré, tout comme la petite foule d'amateur(e)s d'opéra et de musique qui m'a tenu compagnie, samedi après-midi au Cinéma Jonquière.

28/10/2013

Quand le nez n'en fait qu'à sa tête

le nez,the nose,chostakovitch,metropolitan opera,paulo szot,russe,union soviétique

Par curiosité, je suis allée voir Le Nez, de Dmitri Chostakovitch, projeté au cinéma Jonquière  en direct du Metropolitan Opera. Intitulé donc The Nose et chanté en russe avec sous-titres anglais. Je savais que ce serait bien différent des productions habituelles.

Et ce fut vraiment très différent. Musique actuelle, rythmes et pulsations, percussions, dissonances: intéressante par endroits, un peu indigeste à la longue. Heureusement, l'oeuvre a battu un record de brièveté pour ces diffusions: 130 minutes, sans entracte.

C'est une histoire absurde et rigolote inventée à l'origine par Nicolas Gogol: en se réveillant un matin, un homme constate qu'il n'a plus de nez. Pas de blessure, pas de sang, juste l'absence du nez, un vide au milieu du visage.

Le nez est tout simplement parti vivre sa vie (!), se promener dans toute la ville, acquérir un statut social un peu plus élevé que celui de son propriétaire, à qui il est finalement rendu.

le nez,the nose,chostakovitch,metropolitan opera,paulo szot,russe,union soviétique

Sur scène, le chanteur Paulo Szot (on l'entend dans un extrait de The Nose sur la vidéo ci-dessus), a son nez bien planté au milieu du visage tout en mimant les tourments d'un Kovalyov qui en serait privé. Fantastique et grotesque, ce nez a pris la taille d'un homme et se déplace sur deux jambes sous deux aspects différents: marionnette en 3D tapissée de papier journal, ou ombre chinoise en deux dimensions: blanc ou noir, donc.

De toute façon, on n'en est pas à une absurdité près dans cette histoire qui pour ainsi dire ne tient pas debout. Elle semble n'avoir pour seul but que de distraire et d'amuser, par ses touches comiques et son sens du ridicule.

Côté plus sérieux, voyons-y l'évocation d'une certaine forme de trouble du comportement, soit l'inévitable schizophrénie induite par les ukases contradictoires qui assaillent le citoyen pris dans l'étau d'un régime totalitaire. C'est le double message, Kafka et Jarry, l'utopie incarnée, la chimère promue au rang de fait avéré, le mensonge au pouvoir.

Comète singulière tentant d'ébranler nos certitudes opératiques, ce Nez paré d'une inquiétante étrangeté nous amuse, nous agace et/ou nous fait réfléchir.

le nez,the nose,chostakovitch,metropolitan opera,paulo szot,russe,union soviétique

Les -très nombreux- chanteurs m'ont semblé plutôt bons. Je dis m'ont semblé car je ne connais pas une seule note de la partition et je ne puis dire s'ils chantent juste et ou bien. Cependant j'ai pu apprécier leur jeu, qui est excellent.

La mise en scène signée William Kentridge (qui disait en entrevue avoir conçu le personnage du nez en s'inspirant de son propre appendice, assez imposant merci!) est graphique, agrémentée de textes qui bougent, de dessins animés, d'objets fantaisistes qui saturent les paysages urbains et circonscrivent quelques intérieurs improbables plantés de guingois. Peut-être un peu d'exagération de ce çoté-là, mais tant qu'à faire dans la folie...

Bref, c'était une expérience à vivre, intéressante, réjouissante et troublante. Néanmoins je préfère quand même les bons vieux opéras classique comme Carmen ou Don Giovanni et même, dans la fantaisie, La Flûte enchantée ou Cendrillon.

25/09/2013

Fusion musicale

Stéphane Tétreault, Zhengyu Chen, Jeunesses musicales, violoncelle, piano, Brahms, Schubert, Bach, Jonquière, Salle Pierrette-Gaudreault

Une sonate de Brahms merveilleusement jouée par le jeune violoncelliste Stéphane Tétreault et le pianiste Chen Zhengyu. Au deuxième mouvement (qu'on entend sur la vidéo, par Stéphane Tétreault et un autre pianiste), je remarque que le thème, joué d'abord de façon sautillante avec des notes détachées et attaquées (spiccato peut-être), est repris ensuite legato, sur des notes égales et liées entre elles. Sans doute que bien d'autres compositeurs ont utilisé ce genre de variation mais là, il m'éblouit soudain, et à chaque reprise, j'admire le contraste saisissant entre ces deux styles, qui donnent une ambiance totalement différente à la même ligne mélodique: d'abord joyeux, alerte et dansant, et ensuite langoureux et romantique.

Ce concert tout entier, présenté dimanche dernier par les Jeunesses musicales à la salle Pierrette-Gaudreault de Jonquière, était d'ailleurs un pur joyau. J'avais vu le violoncelliste jouer à Laterrière l'an passé (voir mon billet ici). Il était déjà excellent mais depuis, il a progressé de façon remarquable, me semble-t-il. Beaucoup plus à l'aise, il fusionne davantage avec son instrument (un Stradivarius de 1707, prêté par Jacqueline Desmarais). Il joue avec tout son corps, comme dans un pas de deux, son visage est expressif, parfois extatique, comme s'il était  submergé par la beauté de ce qu'il joue.

Mais il n'oublie rien: ni les notes de ses partitions dont certaines sont d'une difficulté extrême (il joue tout de mémoire), ni le rythme (infernal à certains moments), ni la technique. Il possède tout ça à merveille. Bach, Haydn, Schubert, Saint-Saëns et Tchaïkovski sont au programme, et en rappel, la très belle Méditation de Thaïs, de Massenet.

Le pianiste est tout aussi expérimenté et talentueux. La connivence entre les deux musiciens est parfaite, c'est merveilleux de les voir et de les entendre, totalement concentrés et engagés dans leur jeu, un plaisir partagé par l'auditoire qui remplit presque tous les sièges.

02/08/2013

Orgues et cathédrales

Olivier LAtry, cathédrale de Chicoutimi, orgue, concert, boléro, improvisation

(crédit photo: Jeannot Lévesque, Le Quotidien)

 

Olivier Latry est un maître: habitué du grand orgue de Notre-Dame-de-Paris, dont il est titulaire, il a mis à sa main l'orgue plus modeste de la cathédrale de Chicoutimi, mardi soir lors d'un concert gratuit. Il a su tirer le maximum des trois claviers et 60 jeux de l'instrument, faisant sonner ceux-ci comme rarement on les a entendus, aussi bien piano que fortissimo.

Il l'a même fait tonner dans une Marseillaise endiablée, un air qui évita à l'orgue de Notre-Dame de Paris d'être démoli à la Révolution française. "Vous ne pouvez pas me détruire puisque je joue votre musique", semblait dire le vénérable instrument aux insurgés par la voix du compositeur et titulaire Claude-Bénine Balbastre. Les quelques coups de canon insérés dans l'oeuvre, obtenus en martelant le registre bas des claviers, se firent donc entendre à Chicoutimi.

Ayant d'ailleurs choisi comme fil conducteur pour son programme les compositions de ses prédécesseurs à Notre-Dame de Paris, Olivier Latry a proposé des oeuvres de styles variés, tirant des sonorités étonnantes du bel instrument qui répondait à toutes ses sollicitations avec souplesse et élégance.

Notamment dans un boléro envoûtant qui n'était pas celui de Ravel mais celui de Pierre Cochereau, dont le rythme obsédant était soutenu par les percussions de Robert Pelletier.

olivier latry,cathédrale de chicoutimi,orgue,concert,boléro,improvisation

(Voilà ce que je voyais, de la place où j'étais assise au milieu d'une foule nombreuse)

 

Joyau et clou de la soirée, morceau de bravoure incontournable: l'improvisation. La titulaire de Chicoutimi Céline Fortin lui a soumis, dans une enveloppe scellée qu'il a ouverte juste au moment de jouer cette dernière pièce, deux thèmes: "Sous les ponts de Paris" et "Joyeux anniversaire", en hommage à la nationalité de l'invité et aux anniversaires célébrés: les 850 ans de Notre-Dame de Paris et les 175 ans du Saguenay-Lac-Saint Jean.

Immédiatement inspiré, Olivier Latry s'est engagé dans une cavalcade échevelée, exploitant d'abord séparément les deux thèmes, pour ensuite les mélanger progressivement et subtilement, offrant d'innombrables et improbables variations mélodiques, rythmiques et harmoniques qui firent vibrer tous les tuyaux du Casavant saguenéen. Un beau moment que la foule nombreuse a particulièrement apprécié, lui demandant un rappel, qui fut je crois une autre improvisation. (Mais je me trompais: l'organiste titulaire de la cathédrale Céline Fortin m'indique dans son gentil commentaire qu'il s'agissait du Final de la première symphonie pour orgue de Louis Vierne).

La cathédrale était bondée, les derniers arrivés furent refoulés au jubé, il y avait quelques personnes assises sur les marches: un succès considérable pour un concert qui se démarquait par la qualité, la maîtrise et le talent exceptionnel de l'artiste invité.