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20/03/2011

Lucia di Lammermoor: cris et roucoulements

En février 2009, je suis allée voir Lucia di Lammermoor, l'opéra de Gaetano Donizetti monté au Metropolitan Opera et diffusé au cinéma Jonquère.

Hier, samedi 19 mars 2011, je suis retournée au même cinéma, voir le même opéra, dans la même mise en scène (de Mary Zimmerman), également en direct du Met. Une distribution et une direction musicale différentes ont donné d'autres couleurs à cette belle oeuvre.

J'avais bien aimé ma première Lucia, Anna Netrebko, et  j'ai louangé grandement sa prestation (ici).  J'avais cependant, sans oser l'avouer, l'impression qu'il lui manquait quelque chose.

Ce quelque chose, je l'ai trouvé chez Natalie Dessay, l'interprète d'hier. C'est à la fois indéfinissable et nettement perceptible: la conjonction de plusieurs éléments, talent de comédienne, agilité vocale (à la fois innée et cultivée), expérience, et surtout, croit-on comprendre,  l'immense plaisir qu'elle éprouve à faire son métier: elle va même jusqu'à improviser, ajoutant des ornements ou des déplacements non prévus. Ce plaisir jubilatoire coiffe sa prestation d'un plus qui appelle les superlatifs: éblouissante, magique, émouvante, superbe. Elle avait la voix un peu voilée lors des interviews accordées à Renée Fleming, et peut-être aussi à certains moments sur scène, mais peu importe: sa prestation est de celles qui emportent tout sur leur passage.

Ce que l'on voit sur la vidéo ci-dessus, c'est une projection sur grand écran à Times Square, en 2007, pour le lancement de la saison du Metropolitan Opera, où Natalie Dessay chantait Lucia pour une première série de représentations. Elle interprète le célèbre air de la folie, écoutée par les passants, les gens assis dehors: c'est fabuleux.

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La distribution de 2011 est  supérieure à celle de 2009, d'autant plus que le ténor Joseph Calleja, dans le rôle d'Edgardo, est un partenaire idéal pour la soprano et livre une performance également remarquable: physique séduisant, intense et émouvant, voix très musicale, pure et puissante, parfaitement à l'aise dans les acrobaties exigées par la partition.

Son dernier air, Tombe degli avi mici (Tombeau de mes ancêtres), qu'il chante avant de se donner la mort, est totalement pertinent et bouleversant (dans chaque production où l'interprète d'Edgardo n'est pas à la hauteur, cette aria paraît superflue après le grand air de la folie de Lucia).

lucia di lammermoor,metropolitan opera,natalie dessay,joseph callejaPhoto de lui ci-contre.  Et en cliquant sur l'image un peu plus haut, on peut voir et entendre son duo du début avec avec Natalie Dessay.

Le baryton Ludovic Tézier et la basse Kwangchul Youn sont très corrects dans des rôles ingrats et difficiles d'Enrico, frère de Lucia,  et du chapelain. Belle voix du ténor Matthew Plenk dans le rôle très bref d'Arturo.

Mise en scène convenue, décor singulièrement lourd et compliqué, mais peu importe, ce qui compte c'est la musique, superbement servie par le maestro Patrick Summers et les interprètes: le célèbre sextuor de l'acte II était particulièrement inspiré.

Anecdotes

J'ai vu Lucia di Lammermoor à l'Opéra de Montréal en 2001 (voir mon billet ici), et j'en conserve un souvenir étrange.lucia di lammermoor, opéra de Montréal, Mary Dunleavy, 2001, metropolitan opera,natalie dessay,joseph calleja, opéra de Montréal Le ténor et le baryton (Gran Wilson et Brian Davis) étaient plutôt mauvais, et la soprano Mary Dunleavy, très souffrante, chantait d'une voix à peine audible. Pour l'air de la folie, craignant le pire, tous les spectateurs retenaient leur souffle...

Et l'improbable s'est produit: ce filet de voix éthéré et irréel, soutenu par le son aérien de la flûte, s'élevant dans le silence le plus total, a agi comme un philtre magique sur un public totalement envoûté. Ce fut le meilleur moment de cette production plutôt médiocre. 

Par ailleurs, la neige, comme toujours à la scène, était évoquée par des petits morceaux de papier-mouchoir tombant du plafond. Or, certains d'entre eux étaient bien trop grands et ressemblaient davantage à des kleenex qu'à des flocons: gracieuseté des techniciens de la Place des Arts, qui exerçaient alors des moyens de pression.

17/03/2011

Trop tard - Too late?

J'ai le coeur serré en écoutant certaines chansons d'amour déchirantes (Ne me quitte pas, ou Il n'y a pas d'amour heureux par exemple), d'autres me tirent des larmes pour d'autres raisons que leur contenu. Reliées à des souvenirs, des gens, des impressions.

Mais selon moi la plus triste des chansons québécoises n'est pas une chanson d'amour... Ou plutôt oui, d'amour pour le Québec français, pour la langue française, un amour chanté surtout ... en anglais.  C'est la chanson Mommy. On connaît surtout l'interprétation magistrale qu'en fit Pauline Julien (sur la vidéo), mais elle fut d'abord chantée par Dominique Michel et Marc Gélinas, dans la Mommy, Pauline Julien, Simon Beaulieu, Gérald Godin, chanson québécoisecomédie (!) Tiens-toi bien après les oreilles à papa, réalisée par Jean Bissonnette en 1971. Le scénariste du film, Gilles Richer a écrit les paroles de la chanson avec Marc Gélinas, qui a composé la musique.

La chanson évoque la possible disparition de la langue française au Québec. Écoutez-là, lisez les paroles (ci-bas), c'est à brailler. On l'a fait entendre ce matin à l'émission Christiane Charrette (en passant, c'est rare qu'il y a de la musique écoutable à cette émission) avant l'interview avec le cinéaste Simon Beaulieu, qui a réalisé un documentaire sur Gérald Godin, poète, homme politique et compagnon de Pauline Julien.

Le jeune réalisateur (photo) racontait que, avant de tourner le film, il a dû consulter archives et documents pour prendre connaissance de l'histoire du Québec, des années 70 qu'il n'a pas vécues, de la Crise d'Octobre Simon Beaulieu, Gérald Godin, Pauline Julien, Mommydont il n'avait jamais entendu parler au cours de ses études. "Je me demande (dit-il ici) comment j'ai passé à travers tout le système d'éducation sans véritablement connaître l'histoire de mon peuple. C'est une faillite collective".

En effet, comment peut-on prétendre conserver ce que nous avons de plus précieux, si tous les systèmes dont nous faisons partie (scolaire, politique, social, familial) sont conçus pour nous faire oublier à mesure?

Deviendrons-nous des zombies sans mémoire...

...des anglophones ?

 

 

______________________

Mommy, Daddy (1971)

Paroles : Gilles Richer et Marc Gélinas

 

Mommy, daddy, I love you dearly

Please tell me how in French my friends used to call me

Paule, Lise, Pierre, Jacques ou Louise

Groulx, Papineau, Gauthier, Fortin, Robichaud, Charbonneau

 

Mommy, daddy, what happened to my name?

Oh mommy, daddy, how come it's not the same?

Oh mommy, tell me why it's too late, too late, much too late?

 

Mommy, daddy, I love you dearly

Please tell me where we used to live in this country

Trois-Rivières, Saint-Paul, Grand-Mère

Saint-Marc, Berthier, Gaspé, Dolbeau, Tadoussac, Gatineau

 

Mommy, daddy, how come it's not the same?

Oh mommy, daddy, there's so much in a name

Oh mommy, tell me why it's too late, too late, much too late?

 

Mommy, daddy, I love you dearly

Please do the song you sang when I was a baby

Fais dodo, Colas mon p'tit frère

Fais dodo, mon petit frère, tu auras du lolo

 

Mommy, daddy, I remember the song

Oh mommy, daddy, something seems to be wrong

Oh mommy, tell me why it's too late, too late, much too late?

 

Mommy, daddy, I love you dearly

Please tell me once again that beautiful story

Un jour ils partirent de France

Bâtirent ici quelques villages, une ville, un pays

 

Mommy, daddy, how come we lost the game?

Oh mommy, daddy, are you the ones to blame?

Oh mommy, tell me why it's too late, too late, much too late?

 

 

11/03/2011

Femmes, phrases et phrasés

Jocelyne Roy, flûte, Jeunesses musicalesJocelyne Roy (ci-contre) et Michelle Yelin Nam avaient de bien belles choses à dire aux nombreuses personnes qui ont bravé la neige et le froid pour aller les entendre dimanche dernier (6 mars) à la salle Pierrette-Gaudreault. En tournée avec les Jeunesses musicales du Canada, elles se sont bien sûr exprimées par leurs instruments, la flûte et le piano, mais aussi par la parole, sachant établir un contact très fort avec leur public.

La flûtiste est québécoise et s'exprime fort bien. Sa compagne, d'origine coréenne, fait d'immenses efforts pour parler français. Avec un fort accent, le souffle court, elle cherche ses mots, se trompe parfois, donne trop ou trop peu de détails à l'occasion, mais peu importe, elle se lance, son message passe malgré tout, et on sent que d'ici quelque temps, sa persévérance lui permettra de parler beaucoup mieux cette langue difficile pour ellejocelyne roy,michelle yelin nam,flûte,piano,eunesses musicales,jonquière

Ce discours des deux jeunes musiciennes, tout en offrant des détails importants sur les oeuvres au programme, parle surtout de leur amour de la musique, du rôle joué dans leur vie par telle oeuvre ou tel compositeur. À les entendre, on ne doute pas un instant qu'elles aiment ce qu'elles font et que quand elles jouent, elles sont là, totalement présentes, totalement concentrées, habitant complètement cette bulle d'espace/temps qui s'appelle un concert.

Ce plaidoyer, c'est un plus qui s'ajoute au plaisir de les entendre jouer. Elles ont  25 et 29 ans, déjà beaucoup d'expérience de la scène (concerts, concours, prix) et une immense compétence technique et expressive, acquise à force de temps et de travail.

Leur programme est riche, plein de beaux noms qui m'ont pour ma part incitée à me déplacer.

Saverio Mercadante n'est pas le plus connu d'entre eux, mais j'ai un faible pour ce compositeur: depuis une vingtaine d'années, j'écoute régulièrement dans mon auto ses merveilleux concertos pour flûte. Jocelyne Roy a interprété ses variations sur La ci darem la mano (air du Don Giovanni de Mozart), qui demandent beaucoup d'agilité et de virtuosité, comme à peu près tout ce qu'elle a joué. Des pièces de Bach, Boehm, Debussy, Chopin Schubert, Mendelssohn, jouées en duo ou en solo, peuplaient ce programme bien garni.

Et quelque chose de très spécial, Chant de Linos du compositeur français André Jolivet: elles ont parlé de la pièce avec une telle ferveur, et l'ont jouée avec tant de compétence et d'engagement qu'elles ont su faire apprécier au public cette musique exigeante, puissante et déstabilisante.

L'oeuvre est jouée sur cette vidéo:

C'est le genre de concert qui me laisse une extraordinaire impression de satisfaction, d'accomplissement: heureuse d'avoir vaincu ma paresse naturelle, ma tendance à rester tranquille à la maison, d'avoir saisi cette occasion unique d'un partage, d'une rencontre, avec l'art, avec les artistes et avec un groupe de personnes qui ont vécu cela en même temps que moi, je me sens quelque peu euphorique, comme un athlète qui aurait réussi une épreuve difficile.

 

02/03/2011

Pour qui sonne Bungalopolis?

BungalopolisDans la même journée (samedi 26 février) j'ai vu deux opéras de grande qualité, situés aux antipodes (chronologiques et conceptuelles) l'un de l'autre: Iphigénie en Tauride, de Gluck (j'en ai parlé ici), et Bungalopolis, un opéra-cabaret conçu par le compositeur Maxime Goulet et ses complices.

Cette dernière production, présentée au théâtre Palace Arvida par la Société d'art lyrique du Royaume, sort réellement des sentiers battus, ceux de l'opéra, ceux de la musique, ceux du théâtre, dont elle retient cependant certains codes pour pour nous projeter dans l'univers déjanté de la bande dessinée, plus précisément des aventures de Jérôme Bigras, banlieusard moustachu et ventripotent créé par le bédéiste Jean-Paul Eid.

bungalopolis,société d'art lyrique du royaume,maxime goulet,jean-paul eid,jérôme bigrasLe concepteur Maxime Goulet invente une forme d'opéra moderne inspiré par les BD de Jean-Paul Eid (à gauche sur la photo, Maxime Goulet est à droite): le décor est celui d'une banlieue monotone (Bungalopolis) où les préoccupations des personnages touchent le gazon, le facteur, les vidanges, (ça fait penser à la petite vie, non?). Jérôme Bigras et ses voisins vivent des aventures extraordinaires, ils voyagent dans l'espace et dans le temps, ils rencontrent des étrangers, des gens qui leur veulent du mal, mais leur prosaïsme et -disons-le franchement- leur vulgarité désamorcent toute possibilité de véritable narration pour nous ramener à l'univers minimaliste de la banlieue où règne Jérôme Bigras, secondé par... Rex, sa fidèle tondeuse!

La parodie est l'un des ressorts de cette amusante production, comme l'indiquent les titres des 16 courts tableaux qui constituent les trois actes de l'opéra: Rascar Capac, Les aventuriers des objets perdus, Les hommes de matante, Passe-Jérôme tond le gazon, par exemple. Rien de tout ça n'est sérieux: il faut saisir les allusions (fines ou pas fines) et se laisser emporter par ce joyeux mélange d'absurde, de ridicule, de comique.

bungalopolis,société d'art lyrique du royaume,maxime goulet,jean-paul eid,jérôme bigrasComme à l'opéra, les (six) musiciens jouent en direct. Sur la scène, un écran affiche les planches des bandes dessinées (en noir en blanc) et les textes que chantent les quatre interprètes, Ariane Girard, Philippe Martel, Sylvain Paré et Dominique Côté (en ordre sur la photo), tous excellents. La musique, ultra-contemporaine, fascinante et accessible, est l'oeuvre de cinq jeunes compositeurs dynamiques et inventifs. L'un des points forts de l'oeuvre est d'ailleurs ce contraste pétillant entre le livret (vie quotidienne et propos triviaux) et la musique (pointue et audacieuse).

C'est un spectacle de grande qualité, ça bouge et ça déménage, c'est plutôt drôle, bref, on voit que tout le monde y a mis beaucoup de temps, de talent, et d'énergie.

Pour ma part, je me suis bien amusée, j'ai apprécié cet effort concerté d'un grand nombre de créateurs pour faire quelque chose de nouveau et d'éclaté, ce talent déployé dans tous les aspects de ce spectacle original: musique, mise en scène, conception, réalisation technique.

bungalopolis,société d'art lyrique du royaume,maxime goulet,jean-paul eid,jérôme bigrasMais pour le moment du moins, l'oeuvre ne semble pas avoir trouvé son public. Plusieurs des représentations prévues à l'origine ont été annulées, et celles qui ont eu lieu (à Jonquière et à Montréal) n'ont pas attiré les foules attendues. Tous ceux qui se sont déplacés ont adoré le spectacle, semble-t-il.

Mais comment convaincre, et qui convaincre? Pas de nom connu, musique contemporaine, complète nouveauté. Aînés amateurs de grands opéras? banlieusards avec enfants? intellos branchés? amateurs de jazz? artistes allumés? jeunes désargentés?

Difficile d'identifier le public-cible de Bungalopolis, véritable attracteur étrange qui tente de faire son chemin dans le monde déjà surpeuplé de l'offre de spectacle. Il faudrait une promotion tous azimuts, sur divers supports, qui titillerait la curiosité, des extraits, des critiques dans les grands médias... Difficile tout ça... et très cher.

Situation paradoxale puisque Bungalopolis possède au fond toutes les caractéristiques qui pourraient lui permettre de devenir une oeuvre-culte. Mais pour qu'elle le devienne vraiment, il faut qu'elle soit largement diffusée et connue. Un éventuel DVD trouvera peut-être son public plus facilement que le spectacle lui-même: je le leur souhaite, car tous ces gens débordent de talent et méritent attention et appréciation.

 

27/02/2011

Ô malheureuse Iphigénie!

Ô malheureuse Iphigénie (chanté ci-dessus par Maria Callas): c'est la grande aria d'Iphigénie en Tauride, le magnifique opéra de Gluck présenté samedi au Cinéma Jonquière, en direct du Metropolitan Opera de New York. Parmi les éléments ayant incité les fans à remplir la salle: la présence sur scène de la mezzo-soprano Julie Boulianne, originaire de Dolbeau-Mistassini. Elle est la première de nos gloires opératiques locales à chanter au Met, et plutôt deux fois qu'une car elle incarnera prochainement Stephano dans Roméo et Juliette de Gounod (qui ne sera pas diffusé au cinéma cependant).

Elle joue le rôle très mineur (on la voit en très petit sur la photo ci-dessous) et néanmoins important de la déesse Diane: elle interprète son seul air (qui dure environ trois minutes) vers la fin , après être descendue du plafond dans des harnais dont elle se détache gracieusement. Elle a fort bien chanté, dans un registre plus élevé que mezzo m'a-t-il semblé, mais peu importe, c'était un bon moment et les gens à Jonquière l'ont applaudie.

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Pour ma part, je n'aurais manqué cet opéra pour rien au monde, parce qu'il est en français, et surtout, à cause de la musique. Musique pure, dépouillée, lumineuse, parfaitement rendue par un orchestre aux effectifs réduits, que j'ai goûtée d'un bout à l'autre. Et il y a beaucoup d'arias sublimes, Unis dès la plus tendre enfance, Dieux qui me poursuivez, et D'une image, hélas! trop chérie, entre autres.

De grosses pointures dans les rôles d'Iphigénie et de son frère Oreste: Susan Graham et Placido Domingo (qui ont chanté déjà cet opéra au Met en 2007). Le directeur du Metropolitan  s'est présenté sur scène, avant la représentation, pour demander l'indulgence du public envers les deux vedettes, qui allaient performer malgré une vilaine grippe. Ils ont vaillamment traversé tout ça, lui un peu essoufflé et incapable de chanter à pleine voix, elle à peine troublée par un léger embarras dans l'aigu: mais leur talent et leur expérience ont largement compensé ces difficultés temporaires et c'était beau de les voir et de les entendre.

J'ai découvert l'excellent ténor américain Paul Groves (spécialiste du répertoire français, que l'on voit sur la photo ci-dessous avec Graham et Domingo) dans le rôle de Pylade:  timbre clair, voix souple, manifestement à l'aise dans ce type de musique. J'ai adoré l'entendre chanter.

Seul bémol de la distribution, Gordon Hawkins, dans le rôle (heureusement assez bref) de Thoas, roi des Scythes: une véritable catastrophe, très mauvais chanteur et acteur: n'importe quel des choristes présents sur scène aurait sans doute mieux fait!).

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La scénographie s'inspire de la peinture hollandaise, ou aurait dit des tableaux de Vermeer, mais -malheureusement- sans la lumière! La mise en scène statique et conventionnelle ne m'a pas dérangée: quand la musique est belle, je me dis parfois que les chanteurs pourraient venir tour à tour à l'avant-scène pour interpréter leurs airs, et que je serais comblée quand même.

Côté narratif, l'opéra de Gluck raconte un épisode de la légende des Atrides, famille maudite de Mycènes dans la mythologie grecque. Exilée en Tauride par un terrible engrenage de meurtres, de vengeances et de sacrifices (les flashbacks sur cette saga constituent d'ailleurs une partie importante de la trame narrative), Iphigénie est un jour tenue de sacrifier aux dieux deux étrangers capturés par les Scythes: elle se rend compte que l'un d'eux est son frère Oreste, qui la croyait morte. Diane vient finalement empêcher le sacrifice et apaiser les âmes tourmentées.

Un peu loin de nous, tout ça, mais on y croit, et à certains moments, les larmes ne sont pas loin: voilà le miracle de l'art et de la création.

14/02/2011

La dictature des Grammies

kentNagano.jpgLa remise des Grammy Awards est une fête américaine et anglophone, sans grand intérêt pour nous, Québécois... à moins que des Québécois gagnent des récompenses, ce qui se produit régulièrement d'ailleurs.

Les médias aujourd'hui n'en ont que pour Arcade Fire, un groupe montréalais qui a trahi ses origines pour faire de la vulgaire pop américaine (en anglais bien sûr), et qui a remporté le Grammy de l'album de l'année.

Aucun média, même la très montréalaise Presse, n'a mentionné qu'un autre Montréalais (d'adoption, comme la plupart des membres d'Arcade Fire), Kent Nagano, directeur musical de l'Orchestre symphonique de Montréal, a lui aussi remporté un Grammy dimanche, et que ce n'était même pas son premier. C'était pour le meilleur enregistrement d'un opéra, L'amour de loin, de la compositrice finlandaise Kaija Saariaho (livret en français de l'écrivain libanais Amin Maalouf), pour lequel il a agi comme directeur musical et chef de l'Orchestre symphonique Deutsches de Berlin. Je ne suis pas sûre que j'aimerais beaucoup cette oeuvre, mais c'est au moins quelque chose de singulier, d'original, de créatif, qui mérite très certainement d'être souligné: rien à voir avec les ornières de la musique rock formatée et mortellement ennuyante.

C'est le pianiste Alain Lefèvre qui, au cours d'une entrevue qu'il donnait (sur un tout autre sujet) sur les ondes de CBJ, a mentionné la chose à l'animateur Jean-Pierre Girard. Ce dernier n'en revenait pas... et moi non plus, car aucun des journaux montréalais que j'ai lus n'en a parlé (Le Devoir, avec ses heures de tombée pas possibles, n'a même pas parlé des Grammies lundi, c'est peut-être remis à mardi!), ni la radio, ni la télé. Au moins, la nouvelle était sur le blogue d'Espace-Musique, ici. (On n'a pas jugé bon de demander au maestro sa réaction, mais j'imagine qui'il aurait affiché, au sujet de cette récompense, la sérénité et la retenue qui conviennent!)

Tout ce qui est anglophone, américain, et en général assez affreux, intéresse les médias de Montréal. Le moindre chanteur inconnu, le moindre groupe qui sort un premier disque ou donne un spectacle en anglais dans une salle miniature tapisse leurs ondes et leurs pages.

Tandis que parmi les artistes francophones, seuls les plus populaires  (ceux qui vendent beaucoup de disques!), semblent dignes de mention.

Colonisés, dites-vous?

(Une autre montée de lait sur le même thème, ici)

31/01/2011

Quatuor Alcan: création mondiale

Événement notable et moments exceptionnels mardi dernier (25 janvier) à l'église Notre-Dame de-Grâce de Chicoutimi: la présentation d'une oeuvre musicale en première mondiale. Gracieuseté du Quatuor Alcan qui avait mis au programme de son concert un quatuor du compositeur Airat Ichmouratov, jamais joué en public auparavant.

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(photo Laetitia Deconinck, Le Soleil)

Celui-ci, Québécois d'adoption né en Russie, est venu présenter au public sa nouvelle oeuvre, le Quatuor à cordes numéro 3. Il a expliqué l'avoir écrite alors que sa femme était malade, ce qui explique, disait-il, l'émotion qui s'en dégage. Il a dit aussi que c'est l'oeuvre qui le représente le mieux: on pouvait déduire de ses propos qu'il estime s'être détaché de quelques  influences ayant jusque-là marqué son travail de compositeur, celles de Tchaïkovsky et de Chostakovitch notamment.

Mon opinion de non-spécialiste: sa musique est à la fois belle, accessible et complexe, de style plutôt classique (par opposition à moderne), imprégnée de ce qu'on peut appeler l'âme slave (comme par exemple chez Borodine, Dvorak, Bartok, Smetana). Elle est parsemée de références à la musique traditionnelle et folklorique de ces contrées. On n'y trouve ni les dissonances, ni les audaces extrêmes, ni les manipulations spéciales d'instruments régulièrement demandées par les compositeurs d'aujourd'hui.

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Avec leur fougue et leur engagement habituels, David Ellis, Luc Beauchemin, Nathalie Camus et Laura Andriani ont mis en valeur les qualités et le dynamisme de cette musique, et nous en ont livré un petit bout en rappel.

L'interprétation et le concert se sont terminés par quelques effusions de bon aloi entre le compositeur et les membres du Quatuor Alcan, auxquels il a dédié cette oeuvre.

Quelques notes

- Au programme du concert également, des quatuors de Mendelssohn (op. 12) et de Beethoven (no 9, opus 59, no 3): magnifiques, les oeuvres autant que les interprètes. Le Beethoven se termine par un allegro dans le style vol du bourdon ou mouvement perpétuel pas piqué des vers.

- Même si la création d'une oeuvre musicale est un événement assez rare de nos jours, ce n'est pas la première fois que le Quatuor Alcan en offrait une. Je me souviens d'un concert où les musiciens avaient joué une pièce (très courte) de la compositrice Isabelle Panneton. Preuve que ces musiciens sont non seulement excellents, mais qu'ils participent activement à la vie et à la création musicales d'aujourd'hui.

- Le lendemain de ce concert, le compositeur Airat Ichmouratov dirigeait au Palais Montcalm l'Orchestre symphonique de Québec (dont il est chef assistant en résidence), dans un programme de musique du monde où figurait la création d'une autre de ses oeuvres.

- Le Quatuor Alcan effectuera en février prochain une tournée de concerts en Colombie Britannique avec le programme qu'il a joué mardi à Chicoutimi. Je ne sais pas si le compositeur sera du voyage.

- Un mot enfin sur l'église Notre-Dame de Grâce comme salle de concert. Totalement inadaptée. Exception faite du son, qui n'est pas si mal, tout le reste est affreux...

 

29/01/2011

Concert Schumann: l'amour, toujours l'amour

Entendre parler d'amour par un dimanche après-midi (23 janvier dernier) d'extrême froidure. L'amour en mots et en musique, l'amour selon Robert Schumann, offert par des artistes audacieux et engagés est venu réchauffer le coeur des quelque 70 personnes qui s'étaient rendues à la salle Orphée pour entendre ce concert, intitulé Le romantisme de Schumann.

Nathalya Thibault, Schumann, SALRLa soprano Nathalya Thibault a offert les huit lieder du cycle L'amour et la vie d'une femme (Frauenliebe und leben). Les poèmes d'Adelbert von Chamisso mis en musique par Schumann chantent les joies de la passion amoureuse, les transports d'une jeune femme éblouie (sinon aveuglée) par la beauté et les qualités de son bien-aimé. Seul le dernier lied évoque la peine (causée par une dispute ou un abandon), une douleur aussi intense que fut le bonheur qui l'a précédée.

Appuyée par une grande expérience de la scène et une technique bien travaillée, Nathalya Thibeault a livré avec beaucoup d'âme, et dans un excellent allemand (m'a dit un auditeur qui parle bien cette langue) cette  musique superbe, et ces textes au lyrisme à la fois prenant et  quelque peu suranné. Le public l'a écoutée avec beaucoup d'attention, captant les nuances des émotions qu'elle a su bien mettre en valeur. Pour l'interprète, ce récital solo (n'oublions quand même pas l'appui constant et discret de la pianiste Céline Perreault), représentait un défi considérable, qu'elle a relevé avec une belle élégance, avec beaucoup d'aplomb... et un brin de nervosité.

En première partie, 12 élèves en musique du Cégep d'Alma, garçons et filles vêtus de beaux costumes d'époque, ont proposé autant de lieder du même compositeur, entrecoupés par des lectures d'extraits de sa correspondance.

 

groupeSchumann.jpg

Pas évident pour ces jeunes de se lancer dans un tel projet. En général, ils et elles ont assumé, chantant des lieder et des mélodies de Schumann avec tout leur coeur et un peu de trac. Plusieurs d'entre eux ont beaucoup de talent et semblent prometteurs. Mais il est évident que ce romantisme, ces grands élans lyriques, ce non-dit du texte et de la musique, ce n'est pas leur univers. Il leur faudra travailler encore afin d'acquérir la culture générale et musicale, la connaissance des textes et de l'histoire qui viendront compléter la justesse et la beauté de leur voix.

Ce concert, qui a été repris à Alma quelques jours plus tard, était une présentation de la Société d'art lyrique du Royaume, qui a décidé de frapper un grand coup en proposant, d'ici le mois de juin, pas moins de six concerts et spectacles de genres variés.

23/01/2011

Un vieux tube sentimental

Je ne voudrais pas que ça devienne une habitude, mais j'ai pleuré encore en écoutant de la musique. Cette fois c'était Le petit âne gris, une chanson (que je ne connaissais pas) d'Hugues Aufray que l'animateur Jean-François Coulombe a fait tourner hier matin pendant son excellente émission La fin de semaine est à 7 heures (tous les samedis à CBJ).

Chaque semaine, une couleur est à l'honneur: hier, c'était le gris: il fut question notamment de matière grise (le cerveau), de métal gris (l'aluminium), de cheveux gris. (L'animateur interroge des spécialistes de ces questions, c'est toujours intéressant et instructif).

Et pourquoi pas, donc, ce petit âne gris. Une histoire simple, touchante et sentimentale. Propre à tirer des larmes.

Voici les paroles de cette chanson, écrite en 1968 (mais ce ne serait pas nécessaire: la diction d'Hugues Aufray, tout jeune sur la vidéo, est impeccable):


Le petit âne gris
par Hugues Aufray


Écoutez cette histoire
Que l'on m'a racontée.
Du fond de ma mémoire
Je vais vous la chanter.
Elle se passe en Provence
Au milieu des moutons
Dans le sud de la France
Au pays des santons.

Quand il vint au domaine
Y avait un beau troupeau.
Les étables étaient pleines
De brebis et d'agneaux
Marchant toujours en tête
Aux premières lueurs
Pour tirer sa charrette
Il mettait tout son cœur.

Au temps des transhumances
Il s'en allait heureux
Remontant la Durance
Honnête et courageux
Mais un jour, de Marseille
Des messieurs sont venus
La ferme était bien vieille
Alors on l'a vendue.

Il resta au village
Tout le monde l'aimait bien
Vaillant, malgré son âge
Et malgré son chagrin.
Image d'évangile
Vivant d'humilité
Il se rendait utile
Auprés du cantonnier.

Cette vie honorable
Un soir, s'est terminée
Dans le fond d'une étable
Tout seul il s'est couché.
Pauvre bête de somme
Il a fermé les yeux.
Abandonne des hommes
Il est mort sans adieux.

Mm mm mmm mm...
Cette chanson sans gloire
Vous racontait la vie
Vous racontait l'histoire
D'un petit âne gris...

 

13/01/2011

Le pays retrouvé

J'ai écrit sur mon profil Facebook que j'avais pleuré en écoutant Marie-Nicole Lemieux chanter Connais-tu le pays, sur son plus récent disque, intitulé Ne me refuse pas.

disqueMNL.jpg

J'ai pleuré parce que c'est beau, bien sûr. Mais cette beauté que je lui entends, outre celle de la voix, de l'interprétation, de l'accompagnement, elle vient de très loin dans mon histoire personnelle.
C'est un des premiers airs d'opéra que j'ai écoutés, à huit-dix ans, sur les 78-tours que possédait mon père. C'était difficile de comprendre les paroles, car la diva (je ne sais plus laquelle) était italienne, ou peut-être américaine. Non francophone donc.
Comment comprendre "le pays des fruits d'or" (j'ai longtemps cru que c'était "le pays du velours") et "la salle aux lambris d'or", qui débutent le deuxième vers de chacun des deux couplets (répétition, allitération, rime intérieure pour les amateurs d'analyse littéraire!),  termes déjà un peu rares pour une enfant, et en outre prononcés avec un fort accent étranger.  Je demandais à mon père: il connaissait presque tout le texte, mais ces quelques passages lui échappaient à lui aussi.
(Je vous parle d'un temps -très ancien- où Internet n'existait pas)
Plus tard, j'ai éventuellement retrouvé toutes ces paroles (elles sont ici, citées par Jack sur son blogue), parce que je les ai vues écrites notamment. Mais je n'ai jamais entendu d'interprétation vraiment satisfaisante de cet air, tiré de l'opéra Mignon, de Jules Massenet.
Peut-être celle de Célestine Galli-Marié, la mezzo-soprano française qui a créé le rôle en 1866, était-elle excellente...
Jusqu'à ce jour récent où j'ai écouté, directement dans mes oreilles via mon iPod, cet air qui figure sur le disque de la contralto jeannoise. Les mots enfin sont là, dans toute leur splendeur et leur poésie (celle de Goethe, fort bien traduite en français par les librettistes). C'est le phrasé de quelqu'un qui comprend intimement ce que dit le texte, et qui sait insuffler vie et beauté à ces vers autant qu'à cette musique.

Joie, nostalgie, souvenirs, musique, beauté: il n'en faut pas plus pour verser quelques larmes.

Vous pouvez l'entendre sur cette vidéo, avec une photo fixe de Marie-Nicole Lemieux:

 

Et c'est d'autant plus extraordinaire et émouvant que cette grande artiste est une femme de ma région, que j'ai rencontrée à quelques reprises, que j'ai entendue en concert plusieurs fois, au Saguenay, à Québec, à Montréal.

C'est cette pièce qui m'a d'abord attirée vers le disque, de même que cette merveille qu'est Mon coeur s'ouvre à ta voix, de Camille Saint-Saëns (tiré de Samson et Dalila, ici sur Youtube), que j'ai beaucoup écouté dans une période troublée de ma vie adulte.
Je connaissais assez peu ou pas du tout les autres arias (sauf bien entendu L'amour est un oiseau rebelle), qui figurent sur le disque: je les ai découverts, ils sont tous magnifiques, et tous en français!!!