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02/03/2014

Tour de magie à l'opéra

Le théâtre, l'opéra, toute performance sur scène procède d'un art de l'illusion parfois poussé très loin.

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(La basse Mikhail Petrenko © Cory Weaver, Metropolitan Opera)

Une prodigieuse illustration de cela me fut proposée par la trajectoire d'un mannequin, lors de la projection de l'opéra Le Prince Igor  au cinéma Jonquière, en direct du Metropolitan Opera.
Cette trajectoire, seuls ceux qui ont vu l'opéra dans un cinéma ont pu la suivre, alors que les spectateurs présents dans la salle du Met n'en ont rien vu, puisque l'illusion dont je parle était justement conçue à leur intention.

Le mannequin: une copie grandeur nature du prince Galitsky.  Celui-ci, le méchant de l'histoire, règne en despote sur la ville de Poutyvl en Russie (aujourd'hui en Ukraine!), pendant que le prince Igor son beau-frère est retenu prisonnier dans un camp par le chef des Polovtses.
Galitsky, Vladimir de son prénom, trouve la mort dans une bataille à la fin du deuxième acte. Mais le mannequin, doublure inerte de Vladimir, ou plutôt du chanteur qui l'incarne, est allongé par terre et dissimulé derrière une table avant même le début de l'acte, comme nous avons pu le voir sur les images du changement de décor diffusées à l'écran pendant l'entracte.

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Le mannequin est donc là, invisible, dès le début de la scène dans laquelle nous pouvons voir Mikhail Petrenko, qui incarne Vladimir, chanter, jouer son rôle de méchant, interagir avec les autres artistes, jusqu'à l'attaque des Polovtsiens.

Après celle-ci, quand se dissipent les bruits, la fumée et la confusion, Vladimir est étendu au sol, sur le ventre, manifestement mort. Impossible de s'y tromper, c'est bien lui: le costume, la chevelure, et jusqu'à cette légère couronne dégarnie au sommet du crâne, que l'on reconnaît immédiatement car le dessus de sa tête est orienté vers la salle.prince igor,borodine,tcherniakov,ildar abdrazakov,oksana dyka,mikhail petrenko,metropolitan,cinéma jonquière

À l'entracte qui commence ensuite, l'hôte et animateur Eric Owens se tient sur la scène dévastée en compagnie justement de Mikhail Petrenko qui lui accorde une interview. Derrière eux, deux techniciens se présentent, font un petit signe de la main signifiant "on s'excuse" et repartent avec... le mannequin représentant Vladimir, qui gît toujours sur la scène!

Ce fut un moment extraordinaire, une sorte de clin d'oeil...  assorti d'un léger malaise. Comme un tour de magie dont le secret nous aurait été dévoilé par erreur.
Je me suis demandé pourquoi on avait eu recours à un mannequin, une doublure en quelque sorte, pour représenter le corps de Vladimir. Il me semble que Mikhail Petrenko aurait pu tout simplement s'étendre par terre et faire le mort.

Il y a sans doute de bonnes raisons à cela, mais je ne les connais pas. Tout ce que je sais, c'est que ce moment nous a donné un fascinant aperçu de ce qui peut se tramer en coulisse, et de tout ce qui nous est caché quand on est spectateur dans une salle.

(Mes propos sur la production elle-même dans le prochain billet).

10/11/2013

Ah! Tosca!

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Ah! Tosca! Puccini! Vissi d'Arte! E lucevan le stelle!
E(t) tout le reste! Histoire tragique: amour, désir, haine, cruauté, jalousie, vengeance: passions mortelles! Politique, guerre, complots, trahison. Musique tendue et fluctuante: elle court, danse, rit et rugit et nous emporte dans son irrépressible courant.
Une des belles productions du Metropolitan Opera auxquelles j'ai assisté. Peut-être pas la mieux chantée, cependant. De ce point de vue, le ténor français Roberto Alagna (qui incarne le peintre Mario Caravadossi, amant de Floria Tosca) sauve la mise, avec son timbre incomparable, son chant naturel, sa diction impeccable, son jeu dramatique qui témoigne d'un engagement total: il se lance sans filet (autre que son immense expérience) dans les écueils de la partition et s'en tire (malgré quelques failles ici et là) avec les honneurs. Sa grande aria E lucevan le stelle (sur la vidéo ci-dessous, en répétition au Met): ce fut beau, émouvant... et fort applaudi à New York.

Le reste de la distribution excelle au jeu dramatique, mais autrement... Patricia Racette en Tosca est plus émouvante que vocalement séduisante (on peut écouter son Vissi d'arte sur la vidéo ci-dessus).

Quant au baryton géorgien George Gagnidze, aussi terrifiant que possible dans le rôle du méchant Scarpia, il a certes le physique de l'emploi, l'attitude imposante et menaçante qui convient, mais il chante de façon très ordinaire, manquant singulièrement de musicalité. Pour les rôles secondaires, c'est en général assez correct, sans plus.

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Ceci dit, c'est toute la production (signée Luc Bondy), autant les décors, que l'orchestre (dirigé par Ricardo Frizza), le jeu, les déplacements, la synchronisation, la mise en scène (Richard Peduzzi), les costumes, bref, si on excepte quelques incohérences de détail, l'ensemble fonctionne et fonctionne vraiment bien.
Contrairement à d'autres livrets d'opéra, celui-ci (d'après la pièce La Tosca, de l'auteur français Victorien Sardou) offre une progression dramatique vraisemblable: le récit est fluide, les événements s'enchaînent logiquement, les motivations des personnages sont claires: on les comprend, à défaut d'y adhérer (!).
La tension de certaines scènes est à la limite du supportable: par exemple l'exécution de Cavaradossi, ou encore l'affrontement (ci-dessous) entre Tosca et Scarpia (celui-ci voulant obtenir des faveurs sexuelles en échange de la vie de son amant), qui se termine par un meurtre sanglant.

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Les deux entractes furent très longs, car il fallait beaucoup de temps pour mettre en place les décors gigantesques. Mais vraiment pas ennuyants: on pouvait, comme c'est souvent le cas aux diffusions du Met, observer le travail des machinistes et autres employés qui font et défont les planchers, soulèvent et remplacent les murs, nettoient le sang (!) et la poussière.

Nous avons même eu droit, en plus des interviews avec les interprètes réalisées par l'hôtesse Renee Fleming, à une fascinante rencontre avec le charpentier en chef.
Première fois que je voyais une représentation complète de Tosca: j'ai adoré, tout comme la petite foule d'amateur(e)s d'opéra et de musique qui m'a tenu compagnie, samedi après-midi au Cinéma Jonquière.

28/10/2013

Quand le nez n'en fait qu'à sa tête

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Par curiosité, je suis allée voir Le Nez, de Dmitri Chostakovitch, projeté au cinéma Jonquière  en direct du Metropolitan Opera. Intitulé donc The Nose et chanté en russe avec sous-titres anglais. Je savais que ce serait bien différent des productions habituelles.

Et ce fut vraiment très différent. Musique actuelle, rythmes et pulsations, percussions, dissonances: intéressante par endroits, un peu indigeste à la longue. Heureusement, l'oeuvre a battu un record de brièveté pour ces diffusions: 130 minutes, sans entracte.

C'est une histoire absurde et rigolote inventée à l'origine par Nicolas Gogol: en se réveillant un matin, un homme constate qu'il n'a plus de nez. Pas de blessure, pas de sang, juste l'absence du nez, un vide au milieu du visage.

Le nez est tout simplement parti vivre sa vie (!), se promener dans toute la ville, acquérir un statut social un peu plus élevé que celui de son propriétaire, à qui il est finalement rendu.

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Sur scène, le chanteur Paulo Szot (on l'entend dans un extrait de The Nose sur la vidéo ci-dessus), a son nez bien planté au milieu du visage tout en mimant les tourments d'un Kovalyov qui en serait privé. Fantastique et grotesque, ce nez a pris la taille d'un homme et se déplace sur deux jambes sous deux aspects différents: marionnette en 3D tapissée de papier journal, ou ombre chinoise en deux dimensions: blanc ou noir, donc.

De toute façon, on n'en est pas à une absurdité près dans cette histoire qui pour ainsi dire ne tient pas debout. Elle semble n'avoir pour seul but que de distraire et d'amuser, par ses touches comiques et son sens du ridicule.

Côté plus sérieux, voyons-y l'évocation d'une certaine forme de trouble du comportement, soit l'inévitable schizophrénie induite par les ukases contradictoires qui assaillent le citoyen pris dans l'étau d'un régime totalitaire. C'est le double message, Kafka et Jarry, l'utopie incarnée, la chimère promue au rang de fait avéré, le mensonge au pouvoir.

Comète singulière tentant d'ébranler nos certitudes opératiques, ce Nez paré d'une inquiétante étrangeté nous amuse, nous agace et/ou nous fait réfléchir.

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Les -très nombreux- chanteurs m'ont semblé plutôt bons. Je dis m'ont semblé car je ne connais pas une seule note de la partition et je ne puis dire s'ils chantent juste et ou bien. Cependant j'ai pu apprécier leur jeu, qui est excellent.

La mise en scène signée William Kentridge (qui disait en entrevue avoir conçu le personnage du nez en s'inspirant de son propre appendice, assez imposant merci!) est graphique, agrémentée de textes qui bougent, de dessins animés, d'objets fantaisistes qui saturent les paysages urbains et circonscrivent quelques intérieurs improbables plantés de guingois. Peut-être un peu d'exagération de ce çoté-là, mais tant qu'à faire dans la folie...

Bref, c'était une expérience à vivre, intéressante, réjouissante et troublante. Néanmoins je préfère quand même les bons vieux opéras classique comme Carmen ou Don Giovanni et même, dans la fantaisie, La Flûte enchantée ou Cendrillon.

18/02/2013

Rigoletto à Las Vegas: joue, perd... et gagne

Je savais pour La donna è mobile, mais j'avais oublié que Caro nome, un des plus beaux airs d'opéra que je connaisse, était aussi dans le Rigoletto de Verdi. J'ai été vraiment ravie de le réentendre, chanté cette fois par l'excellente soprano Diana Damro (cliquez l'image pour l'entendre en répétition) au cinéma Jonquière, qui retransmettait samedi cette nouvelle production du Metropolitan Opera.

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Nouvelle production? Oh que oui! L'action est située dans le Las Vegas des années 60, univers dépravé, où jeu, sexe, argent, Rat Pack et autres néons rivalisent de quétainerie. C'est peu de dire que le pari était risqué, et il n'est à mon avis pas tout à fait gagné.

Le metteur en scène Michael Mayer, qui travaille pour la première fois au Met, donne à ce Rigoletto les couleurs et les accents de la comédie musicale, genre dont il est spécialiste, dans le but sans doute de rendre accessible à l'Américain moyen cette histoire censée se passer en Italie au 16e siècle, et inspirée à Verdi et à son librettiste par la pièce Le Roi s'amuse de Victor Hugo.

Ce qui donne lieu à quelques incohérences, incongruités, anachronismes. Par exemple: pourquoi tenir à la virginité d'une jeune fille dans ce milieu corrompu? Pourquoi croire à la malédiction lancée par un sheik arabe ridicule tout droit sorti d'Hollywood? Et ces ascenseurs, c'est quoi l'idée?rigoletto,diana damray,piotr beczala,zeliko lucic,verdi,las vegas,casino

Par ailleurs, les sous-titres anglais, remaniés et assaisonnés d'expressions américaines typiques de l'époque (une femme est appelée "baby" ou "doll"), s'éloignent dangereusement du texte original en italien. Au lieu du cortigiani, vil razza dannata que l'on peut traduire en français par courtisans, race vile et damnée, et en anglais par courtiers, vile, damnable rabble, Rigoletto traite ses bourreaux de pack of rotten rats (gang de rats pourris) selon les sous-titres, allusion au rat pack, bien sûr.

La scénographie et l'aspect visuel, les néons, les tables de jeu, les costumes, plumes et froufrous,  les figures qui rappellent Dean Martin, Frank Sinatra, Marilyn Monroe, sont par contre intéressants et dynamiques. Sauf l'horrible robe bleue dont est affublée Gilda...

Un premier acte en dents de scie, en gains et pertes, et vocalement imparfait, histoire de se plonger dans l'histoire, un deuxième acte encore hésitant mais agrémenté par l'excellent choeur des hommes qui s'opposent à Rigoletto.

Et enfin le troisième acte, presque totalement réussi, peut-être parce qu'on s'est peu à peu habitué au contexte.

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Mais aussi parce que le chant prend toute sa place et nous éblouit. Les deux partenaires de Diana Damreau (Gilda), formidable depuis le début, semblent plus à l'aise vocalement et s'expriment enfin pleinement. Le ténor Piotr Beczala qui joue le Duc de Mantoue avec une belle prestance (rappelant à la fois Elvis Presley et Frank Sinatra), envoie très bien la célèbre aria La donna è mobile (même s'il force un peu dans l'aigu), le quatuor (qui succède à une intéressante scène de danse-poteau) est totalement beau, et le baryton serbe Željko Lučić déploie ses ultimes ressources vocales pour exposer de nouvelles facettes de Rigoletto.

De brefs éclairs zèbrent les néons au rythme des rapides arpèges flutés qui annoncent l'orage. Après le drame, c'est dans le coffre arrière d'une immense Cadillac que Gilda mourante fait ses adieux à son père (dans l'opéra original, celui-ci la découvre avec horreur dans un sac de toile où il croyait trouver le corps de son ennemi). Une scène extraordinaire, musicalement, dramatiquement et visuellement. Peut-être moins déchirante qu'elle peut l'être dans les mises en scène classiques, ce qui me convient parfaitement...

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Les puristes détestent, les amateurs de Broadway adorent. Pour ma part, malgré quelques réserves, j'ai plutôt aimé cette production, cette débauche de couleurs et de clinquant,  et surtout la musique (le jeune chef Michele Mariotti a fait très bonne impression) et les voix.

 

Menus détails

- La soprano Diana Damrau ressemble étrangement à la comédienne québécoise Valérie Blais.

- À la fin de l'interview qu'elle accordait à l'hôtesse Renée Fleming, son petit garçon est arrivé en courant, elle l'a pris dans ses bras et lui a fait dire bonjour, en français, aux millions de personnes qui écoutaient cette retransmission. Un bel enfant blond (deux ans environ), c'était tout à fait charmant.

- Sur la vidéo ci-dessus, et sur toutes les photos que j'ai vues de cette production, Madame Damrau porte une robe bleue... qui n'est pas la même que celle que nous avons vue samedi. Cette dernière était à manches longues, à col fermé et en tissu épais. Sans doute que toutes ces images où on la voit vêtue d'une robe également bleue, mais plus décolletée et à manches courtes (question de confort probablement) ont été captés pendant les répétitions. L'une et l'autre robe sont laides, mais celle portée sur scène était particulièrement horrible. Il fallait presque fermer les yeux pour apprécier son Caro nome.

- Il y avait beaucoup de monde pour voir ce Rigoletto samedi. Plusieurs étaient déstabilisés par la transposition, quelques-uns détestaient carrément.

10/02/2013

Une belle soirée aux Enfers!

La Société d'art lyrique du Royaume a retrouvé son lustre d'antan tout en s'adaptant au goût du jour avec Orphée aux Enfers, l'opéra-bouffe de Jacques Offenbach que j'ai eu le bonheur de voir vendredi soir au Théâtre Banque Nationale.

Entendu de la première rangée du balcon, l'Orchestre (symphonique du Saguenay-Lac-Saint-Jean) sonnait particulièrement bien. Maestro Jean-Philippe Tremblay, qui, malgré son horaire chargé, prend toujours plaisir à revenir chez lui diriger l'opérette, aime, connaît et respecte cette musique. Il sait communiquer sa ferveur aux musiciens et aux chanteurs, et mettre en valeur les subitilités et les nuances de la partition. Résultat: la musique monte jusqu'à nous, nous enveloppe et nous emporte. La nouvelle fosse d'orchestre est sans doute pour quelque chose dans la qualité sonore: celle de l'ancien auditorium Dufour, il faut bien l'avouer, étouffait carrément le son.

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(Antonio Figueroa et Aline Kutan dans Orphée aux Enfers. Photo Rocket Lavoie, Le Quotidien)


Presque tout dans cette production, est d'ailleurs formidable. À commencer par les interprètes principaux... et secondaires. Des professionnels d'expérience, habitués ou nouveaux venus aux productions de la SALR, qui savent travailler tout en ayant l'air de s'amuser.

Quelles belles voix que celles d'Antonio Figueroa (Orphée), de  Jacques-Olivier Chartier (Pluton), de Renée Lapointe (l'Opinion publique, qui parle plus qu'elle ne chante), de Patrick Mallette (Jupiter, impayable dans le duo de la mouche), de Sabrina Ferland (Cupidon) et de tous les autres. Quelques-uns n'ont pas toute l'agilité requise pour suivre le tempo dans ses passages les plus diaboliques, mais ce n'est pas trop grave.

Quant à la diva Aline Kutan, elle est tout simplement époustouflante. Les aigus, les graves, les fortissimi, les cascades et les ornementations ne lui font pas peur, elle que  j'ai déjà vue jouer et chanter la Reine de la nuit dans La Flûte enchantée à l'Opéra de Montréal. Le registre comique non plus. Elle n'a peut-être pas le physique idéal pour jouer Eurydice, mais le metteur en scène tire parti de ses rondeurs et de ses appas pour produire des effets du plus haut comique.

L'action se déroule presque totalement sur une petite tribune carrée installée au milieu de la grande scène. Scène sur la scène, théâtre dans le théâtre: le dispositif, combiné aux décors en styromousse, stylisés comme dans une bande dessinée, se révèle intéressant et fructueux.

Le metteur en scène Dario Larouche doit se sentir comme un poisson dans l'eau dans cet univers parodique de la mythologie et de l'Antiquité grecques, lui qui a déjà monté La Marmite de Plaute, L'Assemblée des femmes d'Aristophane, et même Antigone de Sophocle, avec sa troupe les 100 masques. Expériences qui lui servent dans sa première mise en scène d'opéra, où il réussit à tenir ensemble une multitude d'éléments dont certains lui étaient sans doute peu familiers. Rythme, humour, inventivité, subtilité, connaissance approfondie de l'oeuvre sont au rendez-vous pour nous faire partager ce détournement de mythe que constitue Orphée aux Enfers.

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(Le baryton Patrick Mallette incarne un Jupiter dépassé par le mouvement de révolte qui agite les dieux et déesses de son royaume, l'Olympe. Photo Claudette Gravel, SALR)


Dans cet opéra-bouffe, Offenbach et ses librettistes revisitent la légende d'Orphée, en faisant de celui-ci un violoneux insignifiant, tout heureux d'apprendre la mort de sa femme Eurydice, qu'il déteste et qui le lui rend bien. Mais l'Opinion publique, gardienne de la morale, l'oblige à descendre aux Enfers (en passant, amis journalistes et autres qui écrivez sur ce spectacle, Enfers s'écrit AVEC UN E MAJUSCULE dans Orphée aux Enfers) pour aller la reprendre à Pluton, qui l'a en réalité enlevée. Il devra d'abord passer par l'Olympe, où Jupiter et sa troupe de dieux et déesses se joindront à son expédition.

Première partie mieux réussie que la seconde, m'a-t-il semblé, mais c'est dû pour une bonne part au livret lui-même, qui s'égare un peu vers la fin. Autre remarque: il faudrait absolument songer à ajouter des surtitres à la production, car on ne comprend pas la moitié des paroles chantées, et par conséquent, l'humour raffiné, les références subtiles, la critique sociale implacable que contient le texte nous échappent totalement.

Dans l'ensemble, c'est un spectacle enlevé, joyeux, entraînant, drôle, agréable, dont tous les éléments (il faudrait parler aussi des choeurs et des costumes)  se combinent et s'accordent pour nous faire passer une fort belle soirée.

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Nous avons quitté la salle avec en tête l'air du Galop infernal, ce cancan endiablé sur lequel s'achève le spectacle (accès à une version, dans une autre production, en cliquant l'image ci-dessus).

Mais ce que nous avons fait jouer, en revenant à la maison Jack et moi, c'est le Che farò senza Euridice, tiré de l'Orfeo de Gluck, rappelé à notre mémoire par la citation musicale qu'en fait Offenbach dans dans Orphée aux Enfers.

Cliquez sur le lien pour entendre cet air célèbre, chanté par Marie-Nicole Lemieux.

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À lire aussi:

Critique de Daniel Côté dans Le Quotidien,

22/01/2013

Jour de reines

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J'ai passé mon samedi avec des reines. Trois reines, pour être plus exacte. Il y en avait deux dans l'opéra Maria Stuarda, de Donizetti, au Metropolitan Opera, transmis par le cinéma Jonquière. Deux reines, deux rivales: Élisabeth 1ère d'Angleterre et Marie Stuart, reine d'Écosse. Cette dernière est confinée à la prison pour le meurtre de son mari. Les deux femmes se livrent une lutte psychologique sans merci, ayant comme enjeux le trône d'Angleterre et l'amour d'un homme

Ce qui mène à une confrontation extraordinaire à la fin du premier acte, où les deux reines se disent les vraies affaires. Marie Première contre Élisabeth Première, légitime contre "batarde", catholique contre anglicane, mezzo contre soprano: un duo mémorable.

La production du Metropolitan vaut surtout par la prestation magistrale, absolument stupéfiante, de Joyce DiDonato, qui incarne Marie Stuart. En deuxième partie, elle aligne trois (ou quatre? je ne sais plus) arias très exigeantes, autant au point de vue du jeu (elle a vieilli de dix ans depuis le premier acte, elle est agitée de tremblements, elle est émue et verse des larmes), que de la prestation vocale où se succèdent trilles, mélismes, aigus sur graves, graves sur aigus. Elle fait tout cela à la perfection, soulevant autant l'admiration que l'émotion du spectateur, qui ne peut que compatir à la douleur de cette reine qui s'en va vers la mort. (Marie Stuart fut décapitée le 8 décembre 1542).

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Je ne sais pas pourquoi le metteur en scène David McVicar a voulu présenter Élisabeth sous une allure aussi incongrue: une sorte de robot qui se déplace sans grâce et semble sur le point de tomber à chaque pas, mais en tout cas c'est bien réalisé par la soprano sud-africaine Elza van den Heever. Elle chante aussi plutôt bien, même si sa prestation est totalement éclipsée par celle de Joyce DiDonato.

Matthew Polenzani est très bien, vocalement et physiquement, dans le rôle un peu difficile de l'indécis Leicester, aimé des deux reines. J'ai aimé le timbre et la technique de Joshua Hopkins dans le rôle de William Cecil mais pas du tout la prestation de la basse Matthew Rose, qui incarne  Talbot, le conseiller de Marie Stuart.

Il y avait beaucoup de monde au cinéma Jonquière, où la projection a encore une fois été affectée par des problèmes de son. On nous promet que ce sera réglé sous peu. Quant à la mise en images en provenance du Met, elle était tout simplement infecte, abusant des gros plans et des contreplongées.

La troisième  reine de mon samedi fut Christine de Suède, sujet de la pièce Christine la reine garçon, de Michel-Marc Bouchard, présentée par le TNM dans la nouvelle salle nommée Théâtre Banque Nationale. J'en parle dans une prochaine note.

07/01/2013

Marathon dans un fauteuil:             Les Troyens!

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(Au centre, Bryan Hymel. À sa droite, Deborah Voigt, et Julie Boulianne. Photo: Ken Howard, Metropolitan Opera)

 

Cinq heures et demie assise au Cinéma Jonquière, pour voir Les Troyens, de Berlioz, en direct du Metropolitan Opera: un vrai marathon. Plutôt bon. Et très long, alors soyons concise(!):

Le ténor Marcello Giordani, a renoncé à chanter le rôle du prince Énée après trois représentations... pour mon plus grand bonheur. Je l'ai déjà écrit ici, je n'aime pas beaucoup le style de ce chanteur, pourtant très souvent engagé au Met.

Mon bonheur fut d'autant plus grand que celui qui l'a remplacé, Bryan Hymel, est formidable. À 33 ans seulement, il se montre à la hauteur d'un des rôles les plus difficiles du répertoire pour ténor. Souplesse et justesse, timbre clair, du volume, du souffle, un contrôle quasi parfait de toutes les intonations. Une véritable révélation pour moi et pour tous ceux qui l'ont entendu.

Autre source de plaisir: un opéra français, chanté en français. La plupart des chanteurs ont une bonne diction, et je comprenais leurs paroles (en m'aidant un peu avec les sous-titres anglais...) Merveilleux!

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Il ya en réalité dans Les Troyens deux opéras en un. Le premier, La prise de Troie, avec la ruse des Grecs qui introduisent dans la cité ce cheval géant où se dissimulent des guerriers, les avertissements de Cassandre, le suicide collectif des Troyennes. Le deuxième, Les Troyens à Carthage: un groupe de Troyens ont réussi à s'enfuir et, en route pour Rome, ils font une longue escale à Carthage, où la reine Didon les accueille et file le parfait amour avec Énée.

Cette oeuvre monumentale est rarement montée, car elle requiert des effectifs énormes (décors, choeurs, deux équipes de chanteurs), ce qui coûte très cher.

Hector Berlioz (qui n'a jamais pu voir l'oeuvre au complet jouée sur scène), a écrit non seulement la musique des Troyens mais aussi le très beau livret, inspiré par L'Énéide de Virgile. Sa musique est ample, complexe, riche, variée, vraiment magnifique. La partie instrumentale, particulièrement élaborée, est bien mise en valeur par le maestro Fabio Luisi et l'orchestre du Met.

Outre Bryan Hymel, Susan Graham (photo ci-contre) assume bien le rôle extrêmement les troyens,metropolitan opera,bryan hymel,susan graham,deborah voigt,fabio luisiexigeant de Didon, reine de Carthage. Presque toujours en scène dans la deuxième partie, elle joue bien et son chant est assez beau, malgré quelques signes de fatigue vers la fin (c'est compréhensible!).

Pour une rare fois, tous les rôles secondaires sont bien chantés, en particulier celui d'Anna, soeur de Didon, où on retrouve l'extraordinaire mezzo Karen Cargill, et celui de Narbal, dans lequel excelle la basse coréenne Kwangchul Youn.

Sans oublier Julie Boulianne, notre Dolmissoise devenue presque une habituée du Metropolitan, qui incarne Ascagne, fils d'Énée. Elle a assez peu à chanter, mais elle le fait très bien, et elle est sur scène assez longtemps pour qu'on puisse apprécier son jeu.

En première partie, Deborah Voigt offre une Cassandre plus intéressante dramatiquement que vocalement. Chanter en français n'est pas sa tasse de thé: "ça fait travailler des muscles que je ne connaissais pas", disait-elle avec humour à Joyce DiDonato pendant l'entracte, ajoutant qu'elle allait ensuite retourner à ses chevaux (ceux de Brunehilde, la Walkyrie de Wagner, autrement dit revenir à sa spécialité: le répertoire allemand!)

J'ai bien aimé la brève prestation de David Crawford, dans le rôle du fantôme d'Hector. Dwayne Croft en Chorèbe était correct, mais sans plus. Quant à la comédienne Jacqueline Antaramian, qui jouait le rôle muet d'Andromaque, on aurait dit Irène Papas, c'était hallucinant. 

Mise en scène intéressante de Francesca Zambello, malgré quelques gestes chorégraphiques ou déplacements superflus. Les ballets sont intéressants et leur musique formidable, mais vraiment très longs quand on se met à penser qu'il faudra ensuite un acte complet pour représenter le départ d'Énée, puis le désespoir et le suicide de Didon. En fait, il ne faut pas penser, ni surtout consulter sa montre: simplement s'abandonner au plaisir d'écouter et de regarder.

Encore quelques problèmes de transmission audio: le son, faible quand les interprètes se tenaient côté jardin devenait clair et fort quand ils se déplaçaient vers le côté cour!

Une soixantaine de personnes ont couru ce marathon avec moi: on n'est plus tout jeunes, mais on est encore en forme, et toujours passionnés... d'opéra.

11/12/2012

Verdi, le bal et l'amour

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Dans Un ballo in maschera de Verdi (transmission en direct du Metropolitan Opera samedi au cinéma Jonquière), le roi de Suède Gustave III aime en secret Amelia, la femme de son secrétaire et ami le comte Anckarström. Quand ce dernier l'apprend, il est fâché et jaloux, bien entendu. Les deux amoureux, tout en avouant qu'ils s'aiment, lui assurent cependant qu'il ne s'est rien passé entre eux.

Blessé mortellement par son ami qui s'est joint à un complot pour se venger, le roi jure à ce dernier qu'Amelia est innocente, sans tache, et qu'il était sur le point de les envoyer tous deux à l'étranger, afin d'éloigner de lui la tentation.

En apprenant cela, le comte regrette son geste.

L'innocence, c'est donc de ne pas coucher, et non pas de ne pas aimer. Aimer est pardonnable, coucher ne l'est point.

Logiquement, on pourrait croire qu'aimer une autre personne que son conjoint est la pire offense. Mais nous les humains, ne sommes pas toujours logiques, surtout quand les sentiments et la passion sont en jeu.

Enfin, je n'ai pas de solution ni d'idée tranchée à ce sujet, je me dis simplement que l'amour, le sentiment, semble à nos yeux moins fort que le geste, alors que peut-être il n'en est rien. 

Mais qu'est-ce que l'amour?

J'ai cru le voir quand, avant la projection, la caméra a suivi pendant quelques instants, une dame corpulente aux cheveux blancs qui prenait place dans la salle du Metropolitan Opera: elle portait un cathéter nasal, vous savez, ces tubes de plastique qui fournissent de l'oxygène aux personnes atteintes d'insuffisance respiratoire.

Se déplacer pour aller à l'Opéra, s'asseoir au milieu de la foule, rester là trois ou quatre heures, malgré une condition physique pénible qui s'ajoute à l'inconfort inhérent à ce genre d'activité: ça c'est de l'amour, me suis-je dit. L'amour de l'art, de la musique, de cette oeuvre de Verdi, je ne sais pas. Mais l'amour, tout de même.

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Et l'opéra? me demanderez-vous.

J'avoue que je ne sais pas trop quoi en dire. En tout cas ce n'était pas le grand amour de ma part. Je n'ai pas aimé le ténor Marcelo Alvarez en Gustave III: il force sa voix, qui ne sort pas vraiment. Sondra Radvanovsky (Amelia) chante très bien, mais elle semble n'avoir qu'une seule expression à mettre sur son visage. Le baryton Dmitri Hvorostovsky (le comte) est formidable, vocalement surtout. La meilleure, c'est Kathleen Kim, dans le rôle du page Oscar: voix agile, légèreté, humour.

Sans oublier le maestro Fabio Luisi et l'orchestre, qui ont mis en valeur les magnifiques passages orchestraux. Il y a eu de bons moments, surtout aux deuxième et troisième acte, séparés par des scènes un peu longues et sans grand intérêt.

Mise en scène de David Alden. Scénographie étrange et disparate, signée Paul Steinberg. Un grand tableau représentant la chute d'Icare se déplace au-dessus des têtes et déforme l'espace où évoluent les personnages: mais pourquoi?

verdi,metropolitan opera,un ballo in maschera,sondra radvanovsky,kathleen kimAu fond, chaque scène et chaque artiste avait des qualités, mais on aurait dit des pièces détachées, auxquelles il manquait une vision d'ensemble unifiante.

Verdi (ci-contre) fut obligé de faire modifier le livret (d'Antonio Somma), car la censure napolitaine n'acceptait pas que l'on représente sur scène le meurtre d'un roi. On changea donc le roi pour le gouverneur de la ville de Boston, où toute l'action fut déplacée. Heureusement, comme on le fait la plupart du temps de nos jours, et même si c'est joué aux États-Unis, on a repris le livret original, bien plus intéressant puisque inspiré d'un fait réel: l'assassinat du roi Gustave III par Ankarström lors d'un bal masqué.

04/12/2012

Entre vengance et clémence, le choix de Titus

La clemenza di tito, Titus, Bérénice, metropolitan opera, Bicket, Jean-Pierre Ponnelle, Elina Garança, Giuseppe Filianoti, Barbara Frittoli

Le titre de l'opéra, La Clemenza di Tito, résout l'équation de mon propre titre. L'empereur romain Titus choisit d'être clément, de pardonner à ceux qui l'ont trahi et voulu le faire mourir. Même si les lois et coutumes voudraient qu'il les fasse exécuter.

J'ai bien aimé ce personnage, tout en douceur et en compassion.

De graves problèmes techniques ont cependant affecté la présentation de cet opéra de Mozart.  Il y a eu en réalité dix minutes de bon son, les dix dernières. Nous venions d'endurer trois heures d'une transmission sonore déficiente: son étouffé, grésillements, grondements, silences etc...  C'est un changement de logiciel survenu au Metropolitan Opera qui aurait causé tous ces problèmes, nous expliquait le jeune employé du cinéma Jonquière, fort désolé de cette situation à laquelle il ne pouvait rien.

En général, le premier acte m'a semblé un peu ennuyeux, et le second, absolument merveilleux.

Entre les deux actes, les interviews menées par Susan Graham avec les artistes m'ont permis de mieux apprécier la suite. Le chef Harry Bicket a notamment expliqué pourquoi il aimait la musique de ce dernier opéra composé par un Mozart malade et en grande difficulté financière: pour remplir une commande qui tombait à point, il revint à l'opera seria qu'il avait pratiqué à ses débuts, mais en y mettant toute son expérience, tout le savoir-faire acquis entre-temps, créant ainsi une partition tout à fait exceptionnelle, à la fois dans son oeuvre et dans l'opéra en général.

Je n'avais pas vraiment besoin de ça pour aimer le divin Mozart, remarquez, car sa musique est toujours aussi sublime.

Ne pouvant pas apprécier les performances vocales à leur juste valeur, à cause de ces problèmes de son, je me suis intéressée à autre chose. À leur jeu par exemple. Le personnage central est Sesto, ami de Titus. La perverse Vitallia, dont il est épris, lui ordonne de tuer l'empereur car elle croit que ce dernier lui préfère Bérénice. (Elle se trompe: malgré une grande passion réciproque, Titus vient de renvoyer Bérénice, que nous voyons, dans une scène muette, embarquer sur un navire qui la conduira vers sa Palestine natale).

Je ne sais pas si c'est parce que Sesto est un rôle travesti, joué par la merveilleuse Elina Garanča, mais il ne passe guère de sensualité entre elle et Barbara Frittoli, qui incarne Vitallia.

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J'ai remarqué en revanche le visage très expressif de cette dernière: oeillades, sourires en coin, comme un livre ouvert, ses traits mobiles expriment sa malice, sa perfidie, sa ruse, et plus tard, son repentir. Vêtue d'une époustouflante robe noire (photo ci-dessus), Frittoli assume aussi avec élégance la progression de Vitallia de la perversité vers la douceur, ce qui donne ce très beau Non piu di fiori, chanté avec accompagnement de cor de basset.

Titus est joué par Giuseppe Filianoti, et il y a un autre rôle travesti, celui d'Annio, joué par Kate Lindsay.

Malgré donc une transmission imparfaite, je n'ai pas regretté d'avoir été voir La clémence de Titus. Surtout que l'opéra (livret de  Caterino Mazzolà d'après Metastase et Corneille) commence là où se termine Bérénice, le chef-d'oeuvre de Racine, c'est-à-dire avec le départ de Bérénice. Titus et elle se séparent par devoir, invitus invitam, malgré lui malgré elle:

Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?
Que le jour recommence et que le jour finisse,
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ?

 

12/11/2012

Tempête sur le Met

The Tempest, Thomas Adès, Robert Lepage, Audrey Luna, Simon Keenlyside, Alan Oke

J'ai hésité un peu, puis finalement je suis allée voir The Tempest samedi au cinéma Jonquière, en direct du Metropolitan Opera. Après tout, ce n'est pas tous les jours qu'on a l'occasion de voir un compositeur diriger sa création. C'était fréquent autrefois, mais les temps ont changé.

Donc, Thomas Adès, qui a collaboré avec Meredith Oakes pour le livret, était au pupitre pour diriger cette oeuvre, inspirée de La Tempête de Shakespeare. Robert Lepage signe la mise en scène, qu'il a présentée en grande première l'été dernier à Québec, avec une distribution différente.

Je n'ai pas regretté mon déplacement, même si, du point de vue musical, ce n'est pas tout à fait the tempest,thomas adès,metropolitan,operarobert lepage,audrey luna,simon keenlyside,alan okema tasse de thé. Disons que ce ne sont pas des mélodies à retenir ou à fredonner. Toutefois, c'était moins agressif que je l'aurais pensé. J'ai même beaucoup aimé Audrey Luna dans le rôle d'Ariel: une voix quasi surnaturelle dans les aigus extrêmes, entre le cri et le chant, c'est fascinant, vraiment beau à entendre (c'est elle qui chantait à Québec également). Lèvres peintes en mauve, elle se déplace dans l'espace avec des mouvements stylisés et amplifiés, une gestuelle empruntée à la fois à l'animal et à l'acrobate de cirque.

Je nai jamais vu la pièce de Shakespeare au théâtre, mais j'en ai vu diverses adaptations, comme The Enchanted Island, créé au Met l'an dernier, donc je connais un peu la trame et les personnages.

Le baryton Simon Keenlyside incarne un superbe Prospero. Très bons interprètes aussi:  Alan Oke, le sombre Caliban, Isabel Leonard (le rôle était tenu par Julie Boulianne à Québec) en Miranda, fille de Prospero et Alek Shrader, qui joue son amoureux, le jeune et beau Ferdinand.

La mise en scène est vivante, très visuelle. Après  la tempête initiale, spectaculaire avec ses grands flots bleus où s'agitent les âmes en perdition, les naufragés et les autres se retrouvent dans les décors d'un théâtre, celui de la Scala de Milan, où le lustre imposant se déplace dans l'espace, servant notamment de perchoir à Ariel. Une belle idée, même si ce n'est pas la première fois qu'on voit ça, à la fois théâtre dans le théâtre, et "calendrier de l'Avent" (des cases où se jouent diverses scènes), comme disent les Anglais. J'ai adoré ce concept, porteur, inspiré et inspirant.

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À travers les rivalités, luttes de pouvoir, affrontements, revirements, l'amour (celui du couple Miranda et Fernando, celui du père de ce dernier pour son fils, celui de Prospero pour l'humanité), naît ou se développe, se révèle plus fort que les pouvoirs magiques et triomphe finalement.

Si la première scène, celle qui suit la tempête, est un peu longue et soporifique, la suite est à la fois intéressante, divertissante et convaincante. Je me suis laissée porter, bercer, enchanter par ce rêve, cette légende, ces symboles, ces élans, et par cette musique étrange qui soutient tout cela.

Un peu moins de monde que d'habitude à Jonquière, certains habitués ont déclaré forfait, craignant peut-être de sortir des sentiers battus, mais pour ma part, je suis vraiment heureuse d'avoir vu The Tempest.