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10/02/2013

Une belle soirée aux Enfers!

La Société d'art lyrique du Royaume a retrouvé son lustre d'antan tout en s'adaptant au goût du jour avec Orphée aux Enfers, l'opéra-bouffe de Jacques Offenbach que j'ai eu le bonheur de voir vendredi soir au Théâtre Banque Nationale.

Entendu de la première rangée du balcon, l'Orchestre (symphonique du Saguenay-Lac-Saint-Jean) sonnait particulièrement bien. Maestro Jean-Philippe Tremblay, qui, malgré son horaire chargé, prend toujours plaisir à revenir chez lui diriger l'opérette, aime, connaît et respecte cette musique. Il sait communiquer sa ferveur aux musiciens et aux chanteurs, et mettre en valeur les subitilités et les nuances de la partition. Résultat: la musique monte jusqu'à nous, nous enveloppe et nous emporte. La nouvelle fosse d'orchestre est sans doute pour quelque chose dans la qualité sonore: celle de l'ancien auditorium Dufour, il faut bien l'avouer, étouffait carrément le son.

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(Antonio Figueroa et Aline Kutan dans Orphée aux Enfers. Photo Rocket Lavoie, Le Quotidien)


Presque tout dans cette production, est d'ailleurs formidable. À commencer par les interprètes principaux... et secondaires. Des professionnels d'expérience, habitués ou nouveaux venus aux productions de la SALR, qui savent travailler tout en ayant l'air de s'amuser.

Quelles belles voix que celles d'Antonio Figueroa (Orphée), de  Jacques-Olivier Chartier (Pluton), de Renée Lapointe (l'Opinion publique, qui parle plus qu'elle ne chante), de Patrick Mallette (Jupiter, impayable dans le duo de la mouche), de Sabrina Ferland (Cupidon) et de tous les autres. Quelques-uns n'ont pas toute l'agilité requise pour suivre le tempo dans ses passages les plus diaboliques, mais ce n'est pas trop grave.

Quant à la diva Aline Kutan, elle est tout simplement époustouflante. Les aigus, les graves, les fortissimi, les cascades et les ornementations ne lui font pas peur, elle que  j'ai déjà vue jouer et chanter la Reine de la nuit dans La Flûte enchantée à l'Opéra de Montréal. Le registre comique non plus. Elle n'a peut-être pas le physique idéal pour jouer Eurydice, mais le metteur en scène tire parti de ses rondeurs et de ses appas pour produire des effets du plus haut comique.

L'action se déroule presque totalement sur une petite tribune carrée installée au milieu de la grande scène. Scène sur la scène, théâtre dans le théâtre: le dispositif, combiné aux décors en styromousse, stylisés comme dans une bande dessinée, se révèle intéressant et fructueux.

Le metteur en scène Dario Larouche doit se sentir comme un poisson dans l'eau dans cet univers parodique de la mythologie et de l'Antiquité grecques, lui qui a déjà monté La Marmite de Plaute, L'Assemblée des femmes d'Aristophane, et même Antigone de Sophocle, avec sa troupe les 100 masques. Expériences qui lui servent dans sa première mise en scène d'opéra, où il réussit à tenir ensemble une multitude d'éléments dont certains lui étaient sans doute peu familiers. Rythme, humour, inventivité, subtilité, connaissance approfondie de l'oeuvre sont au rendez-vous pour nous faire partager ce détournement de mythe que constitue Orphée aux Enfers.

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(Le baryton Patrick Mallette incarne un Jupiter dépassé par le mouvement de révolte qui agite les dieux et déesses de son royaume, l'Olympe. Photo Claudette Gravel, SALR)


Dans cet opéra-bouffe, Offenbach et ses librettistes revisitent la légende d'Orphée, en faisant de celui-ci un violoneux insignifiant, tout heureux d'apprendre la mort de sa femme Eurydice, qu'il déteste et qui le lui rend bien. Mais l'Opinion publique, gardienne de la morale, l'oblige à descendre aux Enfers (en passant, amis journalistes et autres qui écrivez sur ce spectacle, Enfers s'écrit AVEC UN E MAJUSCULE dans Orphée aux Enfers) pour aller la reprendre à Pluton, qui l'a en réalité enlevée. Il devra d'abord passer par l'Olympe, où Jupiter et sa troupe de dieux et déesses se joindront à son expédition.

Première partie mieux réussie que la seconde, m'a-t-il semblé, mais c'est dû pour une bonne part au livret lui-même, qui s'égare un peu vers la fin. Autre remarque: il faudrait absolument songer à ajouter des surtitres à la production, car on ne comprend pas la moitié des paroles chantées, et par conséquent, l'humour raffiné, les références subtiles, la critique sociale implacable que contient le texte nous échappent totalement.

Dans l'ensemble, c'est un spectacle enlevé, joyeux, entraînant, drôle, agréable, dont tous les éléments (il faudrait parler aussi des choeurs et des costumes)  se combinent et s'accordent pour nous faire passer une fort belle soirée.

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Nous avons quitté la salle avec en tête l'air du Galop infernal, ce cancan endiablé sur lequel s'achève le spectacle (accès à une version, dans une autre production, en cliquant l'image ci-dessus).

Mais ce que nous avons fait jouer, en revenant à la maison Jack et moi, c'est le Che farò senza Euridice, tiré de l'Orfeo de Gluck, rappelé à notre mémoire par la citation musicale qu'en fait Offenbach dans dans Orphée aux Enfers.

Cliquez sur le lien pour entendre cet air célèbre, chanté par Marie-Nicole Lemieux.

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À lire aussi:

Critique de Daniel Côté dans Le Quotidien,

02/03/2011

Pour qui sonne Bungalopolis?

BungalopolisDans la même journée (samedi 26 février) j'ai vu deux opéras de grande qualité, situés aux antipodes (chronologiques et conceptuelles) l'un de l'autre: Iphigénie en Tauride, de Gluck (j'en ai parlé ici), et Bungalopolis, un opéra-cabaret conçu par le compositeur Maxime Goulet et ses complices.

Cette dernière production, présentée au théâtre Palace Arvida par la Société d'art lyrique du Royaume, sort réellement des sentiers battus, ceux de l'opéra, ceux de la musique, ceux du théâtre, dont elle retient cependant certains codes pour pour nous projeter dans l'univers déjanté de la bande dessinée, plus précisément des aventures de Jérôme Bigras, banlieusard moustachu et ventripotent créé par le bédéiste Jean-Paul Eid.

bungalopolis,société d'art lyrique du royaume,maxime goulet,jean-paul eid,jérôme bigrasLe concepteur Maxime Goulet invente une forme d'opéra moderne inspiré par les BD de Jean-Paul Eid (à gauche sur la photo, Maxime Goulet est à droite): le décor est celui d'une banlieue monotone (Bungalopolis) où les préoccupations des personnages touchent le gazon, le facteur, les vidanges, (ça fait penser à la petite vie, non?). Jérôme Bigras et ses voisins vivent des aventures extraordinaires, ils voyagent dans l'espace et dans le temps, ils rencontrent des étrangers, des gens qui leur veulent du mal, mais leur prosaïsme et -disons-le franchement- leur vulgarité désamorcent toute possibilité de véritable narration pour nous ramener à l'univers minimaliste de la banlieue où règne Jérôme Bigras, secondé par... Rex, sa fidèle tondeuse!

La parodie est l'un des ressorts de cette amusante production, comme l'indiquent les titres des 16 courts tableaux qui constituent les trois actes de l'opéra: Rascar Capac, Les aventuriers des objets perdus, Les hommes de matante, Passe-Jérôme tond le gazon, par exemple. Rien de tout ça n'est sérieux: il faut saisir les allusions (fines ou pas fines) et se laisser emporter par ce joyeux mélange d'absurde, de ridicule, de comique.

bungalopolis,société d'art lyrique du royaume,maxime goulet,jean-paul eid,jérôme bigrasComme à l'opéra, les (six) musiciens jouent en direct. Sur la scène, un écran affiche les planches des bandes dessinées (en noir en blanc) et les textes que chantent les quatre interprètes, Ariane Girard, Philippe Martel, Sylvain Paré et Dominique Côté (en ordre sur la photo), tous excellents. La musique, ultra-contemporaine, fascinante et accessible, est l'oeuvre de cinq jeunes compositeurs dynamiques et inventifs. L'un des points forts de l'oeuvre est d'ailleurs ce contraste pétillant entre le livret (vie quotidienne et propos triviaux) et la musique (pointue et audacieuse).

C'est un spectacle de grande qualité, ça bouge et ça déménage, c'est plutôt drôle, bref, on voit que tout le monde y a mis beaucoup de temps, de talent, et d'énergie.

Pour ma part, je me suis bien amusée, j'ai apprécié cet effort concerté d'un grand nombre de créateurs pour faire quelque chose de nouveau et d'éclaté, ce talent déployé dans tous les aspects de ce spectacle original: musique, mise en scène, conception, réalisation technique.

bungalopolis,société d'art lyrique du royaume,maxime goulet,jean-paul eid,jérôme bigrasMais pour le moment du moins, l'oeuvre ne semble pas avoir trouvé son public. Plusieurs des représentations prévues à l'origine ont été annulées, et celles qui ont eu lieu (à Jonquière et à Montréal) n'ont pas attiré les foules attendues. Tous ceux qui se sont déplacés ont adoré le spectacle, semble-t-il.

Mais comment convaincre, et qui convaincre? Pas de nom connu, musique contemporaine, complète nouveauté. Aînés amateurs de grands opéras? banlieusards avec enfants? intellos branchés? amateurs de jazz? artistes allumés? jeunes désargentés?

Difficile d'identifier le public-cible de Bungalopolis, véritable attracteur étrange qui tente de faire son chemin dans le monde déjà surpeuplé de l'offre de spectacle. Il faudrait une promotion tous azimuts, sur divers supports, qui titillerait la curiosité, des extraits, des critiques dans les grands médias... Difficile tout ça... et très cher.

Situation paradoxale puisque Bungalopolis possède au fond toutes les caractéristiques qui pourraient lui permettre de devenir une oeuvre-culte. Mais pour qu'elle le devienne vraiment, il faut qu'elle soit largement diffusée et connue. Un éventuel DVD trouvera peut-être son public plus facilement que le spectacle lui-même: je le leur souhaite, car tous ces gens débordent de talent et méritent attention et appréciation.