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18/02/2013

Rigoletto à Las Vegas: joue, perd... et gagne

Je savais pour La donna è mobile, mais j'avais oublié que Caro nome, un des plus beaux airs d'opéra que je connaisse, était aussi dans le Rigoletto de Verdi. J'ai été vraiment ravie de le réentendre, chanté cette fois par l'excellente soprano Diana Damro (cliquez l'image pour l'entendre en répétition) au cinéma Jonquière, qui retransmettait samedi cette nouvelle production du Metropolitan Opera.

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Nouvelle production? Oh que oui! L'action est située dans le Las Vegas des années 60, univers dépravé, où jeu, sexe, argent, Rat Pack et autres néons rivalisent de quétainerie. C'est peu de dire que le pari était risqué, et il n'est à mon avis pas tout à fait gagné.

Le metteur en scène Michael Mayer, qui travaille pour la première fois au Met, donne à ce Rigoletto les couleurs et les accents de la comédie musicale, genre dont il est spécialiste, dans le but sans doute de rendre accessible à l'Américain moyen cette histoire censée se passer en Italie au 16e siècle, et inspirée à Verdi et à son librettiste par la pièce Le Roi s'amuse de Victor Hugo.

Ce qui donne lieu à quelques incohérences, incongruités, anachronismes. Par exemple: pourquoi tenir à la virginité d'une jeune fille dans ce milieu corrompu? Pourquoi croire à la malédiction lancée par un sheik arabe ridicule tout droit sorti d'Hollywood? Et ces ascenseurs, c'est quoi l'idée?rigoletto,diana damray,piotr beczala,zeliko lucic,verdi,las vegas,casino

Par ailleurs, les sous-titres anglais, remaniés et assaisonnés d'expressions américaines typiques de l'époque (une femme est appelée "baby" ou "doll"), s'éloignent dangereusement du texte original en italien. Au lieu du cortigiani, vil razza dannata que l'on peut traduire en français par courtisans, race vile et damnée, et en anglais par courtiers, vile, damnable rabble, Rigoletto traite ses bourreaux de pack of rotten rats (gang de rats pourris) selon les sous-titres, allusion au rat pack, bien sûr.

La scénographie et l'aspect visuel, les néons, les tables de jeu, les costumes, plumes et froufrous,  les figures qui rappellent Dean Martin, Frank Sinatra, Marilyn Monroe, sont par contre intéressants et dynamiques. Sauf l'horrible robe bleue dont est affublée Gilda...

Un premier acte en dents de scie, en gains et pertes, et vocalement imparfait, histoire de se plonger dans l'histoire, un deuxième acte encore hésitant mais agrémenté par l'excellent choeur des hommes qui s'opposent à Rigoletto.

Et enfin le troisième acte, presque totalement réussi, peut-être parce qu'on s'est peu à peu habitué au contexte.

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Mais aussi parce que le chant prend toute sa place et nous éblouit. Les deux partenaires de Diana Damreau (Gilda), formidable depuis le début, semblent plus à l'aise vocalement et s'expriment enfin pleinement. Le ténor Piotr Beczala qui joue le Duc de Mantoue avec une belle prestance (rappelant à la fois Elvis Presley et Frank Sinatra), envoie très bien la célèbre aria La donna è mobile (même s'il force un peu dans l'aigu), le quatuor (qui succède à une intéressante scène de danse-poteau) est totalement beau, et le baryton serbe Željko Lučić déploie ses ultimes ressources vocales pour exposer de nouvelles facettes de Rigoletto.

De brefs éclairs zèbrent les néons au rythme des rapides arpèges flutés qui annoncent l'orage. Après le drame, c'est dans le coffre arrière d'une immense Cadillac que Gilda mourante fait ses adieux à son père (dans l'opéra original, celui-ci la découvre avec horreur dans un sac de toile où il croyait trouver le corps de son ennemi). Une scène extraordinaire, musicalement, dramatiquement et visuellement. Peut-être moins déchirante qu'elle peut l'être dans les mises en scène classiques, ce qui me convient parfaitement...

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Les puristes détestent, les amateurs de Broadway adorent. Pour ma part, malgré quelques réserves, j'ai plutôt aimé cette production, cette débauche de couleurs et de clinquant,  et surtout la musique (le jeune chef Michele Mariotti a fait très bonne impression) et les voix.

 

Menus détails

- La soprano Diana Damrau ressemble étrangement à la comédienne québécoise Valérie Blais.

- À la fin de l'interview qu'elle accordait à l'hôtesse Renée Fleming, son petit garçon est arrivé en courant, elle l'a pris dans ses bras et lui a fait dire bonjour, en français, aux millions de personnes qui écoutaient cette retransmission. Un bel enfant blond (deux ans environ), c'était tout à fait charmant.

- Sur la vidéo ci-dessus, et sur toutes les photos que j'ai vues de cette production, Madame Damrau porte une robe bleue... qui n'est pas la même que celle que nous avons vue samedi. Cette dernière était à manches longues, à col fermé et en tissu épais. Sans doute que toutes ces images où on la voit vêtue d'une robe également bleue, mais plus décolletée et à manches courtes (question de confort probablement) ont été captés pendant les répétitions. L'une et l'autre robe sont laides, mais celle portée sur scène était particulièrement horrible. Il fallait presque fermer les yeux pour apprécier son Caro nome.

- Il y avait beaucoup de monde pour voir ce Rigoletto samedi. Plusieurs étaient déstabilisés par la transposition, quelques-uns détestaient carrément.

10/04/2011

Avec Le Comte Ory... on rit

le comte ory,metropolitan,juan diego florez,diana damray,joyce didonato,cinéma jonquièreLe fabuleux ténor péruvien Juan Diego Florez a vu naître son premier enfant (le samedi 9 avril) à peine une demi-heure avant d'entrer sur scène au Metropolitan Opera. Sa femme Julia a donné naissance à leur fils, prénommé Leandro. Un accouchement à la maison, dans le calme, dans l'eau... Le chanteur a juste eu le temps de prendre le bébé et de le remettre à sa femme... puis il a dû cavaler jusqu'au théâtre pour jouer Le Comte Ory à la représentation de 13 heures. Par ailleurs, il n'avait pas dormi de la nuit, ça se comprend. C'est ce qu'il a raconté à Renée Fleming, l'hotesse de cet opéra peu connu de Rossini, présenté en direct du Met au cinéma Jonquière.

C'est ça, la vie d'artiste: naissance, mort, rupture, coup de foudre, accident, dispute: rien ne doit empêcher l'acteur de monter sur scène à l'heure prévue. "The show must go on", comme ils disent.

Et quel spectacle! Du bel canto servi par trois artistes extraordinaires:  Juan Diego Florez, dont je connaissais la polyvalence et le timbre succulent (je l'ai vu dans La Fille du régiment, projeté le comte ory,metropolitan,juan diego florez,diana damray,joyce didonato,cinéma jonquièrel'an passé au cinéma Jonquière), avait pour partenaires la soprano Diana Damrau, une authentique colorature, extraordinaire d'agilité vocale et de finesse dans le jeu, et Joyce DiDonato, mezzo de haut niveau, voix souple et soyeuse  subtilement travaillée, qui endosse avec aisance le rôle masculin -et ambivalent- du page Isolier. (Incidemment, la mezzo-soprano jeannoise Julie Boulianne était la doublure de DiDonato dans ce rôle, prête à prendre la relève en cas de pépin... mais cela ne s'est pas produit).

Aigus stratosphériques, arpèges vertigineux, cascades d'ornements et de fioritures:  parfaitement à l'aise dans ce Rossini pur jus, les trois comparses mettent en valeur chaque détail de cette partition semée d'embûches, prononcent à la perfection ce texte français finement ciselé, se répondent avec humour, agrémentant le tout d'oeillades coquines, de rodomontades, de gestes qui démentent le propos ou inversement, bref, c'est un régal du début à la fin.

le comte ory,metropolitan,juan diego florez,diana damray,joyce didonato,cinéma jonquièreDommage que les rôles secondaires soient un peu négligés, comme c'est souvent le cas au Met: si le baryton français Stéphane Degout (photo ci-contre) est très bien (mais un peu nerveux) dans le rôle de Raimbaud, la mezzo-soprano Suzanne Resmark (Ragonde) et le baryton-basse Michele Pertusi (le tuteur) sont vocalement très ordinaires.

Côté scénario, Le Comte Ory est une immense farce qui s'inscrit dans la tradition de l'opérette à la française: séduction, quiproquos, cachotteries, pamoisons, libertinage, assemblés en une élégante dentelle où les propos égrillards et les phrases à double sens alternent avec de beaux moments poétiques et gracieux.

Afin de séduire la comtesse Adèle, enfermée au château avec ses compagnes pendant que les maris sont aux Croisades, le comte Ory, qui a mauvaise réputation, doit cacher sa véritable identité. Il se déguise d'abord en ermite, et on voit donc Diego Florez vêtu d'une longue tunique blanche, gourou barbu devant lequel se pâment les paysannes et les gens du village, comme l'illustrent des scènes du plus haut comique. Ensuite, pour entrer au château, il endosse l'habit et la coiffe d'une religieuse, imité par tous ses compagnons: drôles de nonnes et nonnes très drôles.

Le Comte Ory, Metropolitan, Juan Diego Florez, Diana Damray, Joyce DiDonato, cinéma JonquièreEt tout finit au lit, avec un trio: deux hommes et une femme (interprétés par deux femmes et un homme!) se caressent joyeusement -et indistinctement- les uns les autres, y prennent plaisir, et chantent admirablement en plus.

Certains critiques américains n'ont pas aimé la mise en scène de Bartlett Sher qui, outre cette entorse finale au livret, prend le parti d'installer une pièce dans la pièce, proposant ainsi une mise en abyme qui n'est pas non plus dans le livret. Je n'y ai pas vu d'inconvénient pour ma part, sauf que cette scène sur la scène réduit les dimensions de l'espace de jeu et limite sans doute les mouvements des choristes.

Il paraît que le rire est bon pour la santé: alors je vais me sentir très en forme pendant les jours qui viennent, car j'en ai pris une bonne dose samedi: en réalité, j'ai rarement autant ri à l'opéra et/ou au cinéma.

De plus, j'ai aimé le chant, j'ai découvert une merveilleuse soprano et j'ai vu un nouveau papa heureux, qui certes a dû courir très vite après la représentation pour aller retrouver sa petite famille...