Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

03/11/2011

La formidable murale de Jordi Bonet

IMG_2862.JPG

Elle est tellement forte qu'on préfère peut-être parfois ne pas la regarder vraiment. Je parle de la murale du Grand Théâtre de Québec réalisée par Jordi Bonet. Elle couvre trois murs du hall d'entrée, faisant de celui-ci l'un des plus impressionnants que j'aie pu voir dans un théâtre.

Un si grand espace accordé à l'art visuel, tel un magistral avant-propos aux autres oeuvres (spectacles, concerts, opéras) qui seront vues en salle, donne à la création artistique la place qui lui revient dans un tel lieu: la première.

murale du grand théâtre,québec,jordi bonet,grand théâtre,claude péloquin

Et l'oeuvre elle-même a tant de choses à dire. On sent l'artiste totalement engagé dans la transmutation de ces murs de béton, sculptant directement la matière encore liquide afin de lui donner vie, y imprimant l'énergie de tout son corps et de son seul bras (le gauche, son bras droit ayant été amputé quand il était enfant).

Les textes du poète Claude Péloquin, écrits en accord avec le muraliste et gravés dans le ciment, sont fort beaux. Dommage qu'on n'en ait retenu que celui-ci:

Murale du Grand Théâtre, Québec, Jordi Bonet, Québec, Grand Théâtre, Claude Péloquin

Sans doute non prévu au plan initial, il a frappé les esprits, en 1971 et suscité toute une polémique. Des pète-sec comme le ministre des Affaires culturelles Jean-Noël Tremblay et le romancier Roger Lemelin se sont élevés contre cette phrase, qu'ils jugeaient vulgaire et insultante. Ils ont mené une campagne populaire pour la faire effacer.

Le cachet de Jordi Bonet était de 50 000$ (la somme paraît aujourd'hui ridicule compte tenu de l'ampleur du projet),  et le ministre voulait soustraire 10 000$ de ce cachet, aussi longtemps que l'artiste n'aurait pas effacé ces mots de Claude Péloquin:

"Vous êtes pas écoeurés de mourir bandes de caves! C'est assez!"

L'émission Tout le monde en parlait a proposé l'an dernier un excellent reportage. sur cette controverse. On peut le revoir en cliquant sur ce lien. (Ne pas oublier d'écouter la deuxième partie après la fin de la première).

Jordi Bonet a défendu bec et ongles l'intégrité de l'oeuvre, et la phrase de son ami, qui fut finalement conservée. Chapeau à ceux qui ont pris cette décision (c'était des libéraux, mais bon...)

Cette controverse a occulté en partie la valeur de l'oeuvre dans son entier, de même que les autres textes du poète qui y sont intégrés.

murale du grand théâtre,québec,jordi bonet,grand théâtre,claude péloquin

Revoir, mieux regarder et mieux ressentir la puissance de ce majestueux triptyque: c'est un des buts que je poursuivais en me rendant la semaine dernière au Grand Théâtre pour voir Eugène Onéguine. C'est Jack qui a pris les photos.

"Jordi Bonet n’avait qu’un bras. Avec sa truelle, il transformera en poème universel un matériau qu’il n’avait jamais vraiment traité, le béton, dans un environnement humide, sombre et sur une période de 3 mois."

J'ai perçu encore mieux, cette fois, la force et l'immensité des significations possibles de ces corps et morceaux de corps, prisonniers du ciment: ils y flottent ou s'en détachent, accompagnés par les poèmes, dont certains sont gravés à l'envers, comme dans un miroir, évoquant les grands thèmes choisis: amour, liberté et mort (passé, présent et futur).

Les dimensions de l'oeuvre contrastent avec l'espace occupé par les spectateurs, petits humains qui circulent dans le foyer:

murale du grand théâtre,québec,jordi bonet,grand théâtre,claude péloquin

Et si vous voulez la voir et la parcourir sous différents angles, cliquez sur l'image ci-dessous pour voir un film panoramique de Vincent Royer:

murale du grand théâtre,québec,jordi bonet,grand théâtre,claude péloquin

Sur la photo suivante, affiches d'artistes qui se sont produits au Grand Théâtre, d'autres géants en quelque sorte.

murale du grand théâtre,québec,jordi bonet,grand théâtre,claude péloquin

Formidable artiste d'origine catalane, Jordi Bonet a réalisé dans sa courte vie (il est mort à 47 ans) des murales un peu partout au Québec et notamment au Saguenay-Lac-Saint-Jean: hôtel de ville d'Arvida, polyvalente Jean-Dolbeau, Cégep de Jonquière, église St-Raphaël, et restaurant Le Sablonnet.

Scrapper l'art

Si ces dernières ont été restaurées et sont maintenant visibles au Centre national d'exposition, et si la murale du Grand Théâtre est toujours aussi présente, beaucoup d'autres oeuvres de Jordi Bonet intégrées à l'architecture ont été détruites ou recouvertes lors de rénovations, comme celles de bon nombre d'autres artistes, partout au Québec.

Cette question du (triste) sort réservé aux oeuvres publiques est justement abordée dans le documentaire Scrapper l'art, réalisé par Suzanne Guy et produit par la maison saguenéenne Télé-Boréale Productions. Le film prend précisément comme exemple principal les oeuvres réalisées au Saguenay par Jordi Bonet (on y voit notamment la veuve de l'artiste, Huguette Bonet, s'exprimer sur le sujet).

Après avoir été montré dans quelques festivals, le documentaire sera présenté ce dimanche 6 novembre à 17 heures à la télévision de Radio-Canada, Saguenay-Lac-Jean. Le lendemain 7 novembre, en deuxième partie du Téléjournal Saguenay, une table ronde sur la situation de l'art public au Québec.