24/11/2012
Aimer les Belles-Soeurs ?
Une discussion entre amis après la représentation de Belles-Soeurs (coup de chapeau -un autre!- à La Rubrique qui nous a offert ce superbe théâtre musical), dimanche dernier à la salle Pierrette-Gaudreault de Jonquière (quatre soirs à guichet fermé).
Pour certains, ces femmes sont antipathiques, détestables même. Michel Tremblay aurait au fond créé ces personnages pour que nous puissions les mépriser et par conséquent, nous réjouir de ne pas être comme elles.
Les autres, dont je fais partie, les ont aimées d'emblée et jusqu'à la fin, confondant peut-être dans une certaine mesure les personnages avec les magnifiques comédiennes qui les incarnent, comédiennes que nous aimons, bien sûr. Sans aller jusqu'à dire que je voudrais être comme elles, j'ai ressenti une parenté avec ces femmes, qui, pendant deux heures, vivent, chantent, nous font rire et pleurer, dévoilent leurs frustrations et leur misère, se déchirent pour un million de timbres pinky. Je suis l'héritière de ces belles-soeurs, comme femme, comme Québécoise (même si je suis née dans une famille bourgeoise).
Et comme être humain aussi. Qui n'a pas ressenti un pincement de jalousie envers une personne, même amie ou parente proche, qui gagne le gros lot? La bienséance nous empêche de montrer cette jalousie. Nous devons faire semblant de nous réjouir pour l'autre, mais au fond, que ressentons-nous vraiment?
En 1968, lors de la création de la pièce, la langue québécoise (appelée joual) que parlaient les personnages de Michel Tremblay fut le grand sujet de discussion. Scandale pour les uns, exploit nécessaire pour les autres, la controverse n'est pas vraiment terminée. Cependant, le joual sur scène n'étonne plus guère.
Ce qui frappe aujourd'hui, c'est la position résolument féministe de Michel Tremblay, dans cette pièce et dans plusieurs de ses autres oeuvres: en montrant leur aliénation, il prend la défense de ces femmes, privées de toute liberté morale par des règles qui leur échappent. Seule Pierrette a osé sortir de ces sentiers battus par les curés et autres notables, ce qui lui vaut le rejet, le mépris et l'opprobe de sa famille.
Ceci dit, le spectacle est formidable et la transposition (ou la re-création ont dit certains) du théâtre à la comédie musicale est une réussite totale. Grâce entre autres à toutes ces comédiennes, Marie-Thérèse Fortin, Sonia Vachon, Maude Guérin, Kathleen Fortin, Janine Sutto (elles sont 19 au total) et à leurs complices, les musiciens sur scène. La vivante mise en scène de René-Richard Cyr éclaire sans aucun temps mort les deux versants de l'oeuvre, comique et tragique, et la progression inéluctable de l'un vers l'autre.
En adaptant le texte de Michel Tremblay pour cette production du Théâtre d'Aujourd'hui, René-Richard Cyr a préservé la saveur et la richesse de cette langue, tout en lui donnant un rythme et des accents avec lesquels la musique de Daniel Bélanger s'amalgame à la perfection. Il faut entendre en particulier La noce, qui raconte un mariage en énumérant simplement les noms et prénoms des invités. Et aussi Criss de Johnny, mon vendeur de brosses, L'ode au bingo, Les clubs c'est l'enfer, de véritables petits bijoux sonores.
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Lire aussi:
Le point de vue de Joël Martel dans Le Quotidien
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29/09/2011
Gaston Talbot démultiplié
J'ai trop aimé, je crois, la première version que j'ai vue de la pièce de Larry Tremblay The Dragonfly of Chicoutimi.
C'était en 1999, au Petit Théâtre (de l'Université du Québec à Chicoutimi), qui ne s'appelait pas encore ainsi: le Dragonfly était le premier spectacle joué dans cette salle récemment construite. Pièce magistrale, interprétation tout aussi magistrale du comédien Jean-Louis Millette, qui est mort une semaine après ce passage remarqué à Chicoutimi.
Pour moi: souvenir marquant, histoire exceptionnelle, textes dans Le Quotidien:
Ma critique de la pièce
La réaction de l'équipe au décès du comédien
Mon interview avec Larry Tremblay quelques années auparavant, au moment de la publication de sa pièce
Dans la mise en scène de Claude Poissant pour le Théâtre PàP, présentée à Jonquière mardi dernier, cinq comédiens incarnent Gaston Talbot. Ce n'est plus une voix unique, mais un choeur à voix multiples. Chaque choriste endosse un moment ou une facette de cet homme qui raconte son histoire au public, en anglais. Histoire à tiroirs qui passe du rêve à la réalité en bousculant la chronologie, figure démultipliée par ces cinq comédiens qui se tiennent dans des cubicules. À la fois isolés et inséparables.
Lecture pertinente, intéressante, éclairante même par moments pour ce texte fort et percutant.
J'ai aimé ce que j'ai vu et entendu, tout en regrettant la diction impeccable de Jean-Louis Millette qui donnait à cet anglais une préciosité toute française, démontrant en réalité qu'il ne parlait ni anglais ni français, mais une langue propre à cette oeuvre, la création, l'invention d'un langage étant un thème récurrent chez Larry Tremblay. Avec cinq interprètes, plus les effets sonores, c'était moins clair, de sorte que j'ai perdu je crois le passage le plus important (je ne l'ai pas entendu), et j'en ai éprouvé de la frustration.
Mon souvenir m'aveugle, peut-être, mais ce n'est pas grave.
Car rien n'est sacré et cette reprise possède ses qualités. D'autant plus bienvenue qu'elle contribue à la diffusion de cette oeuvre très forte d'un auteur d'ici qu'est The Dragonfly of Chicoutimi. L'an dernier, La Rubrique avait présenté dans la même salle, par la même compagnie et le même metteur en scène, une autre pièce de Larry Tremblay: l'extraordinaire Abraham Lincoln va au théâtre.
Mardi à la salle Pierrette-Gaudreault, les gens riaient aux éclats, du moins au début de la représentation. Voulaient-ils démontrer qu'ils comprenaient l'anglais, ou croyaient-ils avoir affaire à un spectacle d'humour? Je ne sais pas. Il y a certes de l'ironie et quelques effets comiques, mais c'est un drame et il n'y a pas de quoi s'esclaffer.
Autre opinion sur cette mouture du Dragonfly:
Dario Larouche sur son blogue
07/02/2011
La Rubrique dans tous Les Sens
(Sara Moisan et Émilie Gilbert-Gagnon. Photo: Jean Briand)
Un beau projet du Théâtre La Rubrique que cette création, Les Sens, faisant appel à six auteurs dramatiques originaires du Saguenay-Lac-Saint-Jean, qui ont accepté d'écrire chacun un texte relié à l'un des cinq sens. Cinq sens... plus un, ça fait six auteurs. Et cela donne un spectacle dramatique de deux heures qui enchaîne six courtes pièces presque sans coupure, au point où les spectateurs ne sont pas certains s'il faut applaudir entre chaque proposition. C'est présenté à la salle Pierrette-Gaudreault jusqu'au 12 février.
Mon préféré: Le dernier Almodovar, qui porte sur l'ouïe. Larry Tremblay, toujours aussi génial, a bricolé son texte comme un puzzle où les répliques se succèdent en s'emboîtant, une sorte de chorégraphie vocale où chaque voix trace sa ligne, bifurque, se multiplie, croise les autres voix. Le tout combiné à une illustration visuelle (mise en scène) convaincante. Deux hommes, deux femmes, deux couples, quatre humains et, entre eux et elles, toutes les combinaisons possibles. Habile, léger, étonnant, un brin érotique: réjouissant en somme.
J'ai bien aimé Touchez-moi de Jean-Rock Gaudreault (dont j'avais pourtant détesté Une maison face au Nord): deux hommes, dans un parc, l'un demande à l'autre de le toucher, on croit les connaître mais on découvre, à la faveur d'un revirement bien ficelé, que le plus malheureux des deux n'est pas celui qu'on pense.
Dans Myope ou presbyte (sur la vue), Sylvie Bouchard met en scène un homme de retour d'Afrique, hanté par la misère et les horreurs qu'il y a vues, incapable de réintégrer la vie ordinaire et de profiter d'un moment au chalet avec sa femme et ses amis. Le texte, linéaire et sans grande surprise, soulève pourtant des questions intéressantes et suscite la réflexion.
Et les fruits seront de plus en plus bizarres, de Pierre-Michel Tremblay (un excellent auteur qu'on a tendance à oublier) prend la forme d'un amusant récit qui met en lumière les paradoxes du temps qui passe, du passé et du futur, et les diverses perceptions que l'on peut en avoir, en prenant pour prétexte la découverte d'un nouveau fruit, le kiwi. Humoriste dans l'âme, il campe une famille ordinaire des années 60-70 et nous fait bien rire avec des répliques bien senties.
J'ai un peu moins moins aimé les deux autres pièces. Michel Marc Bouchard reste à l'extérieur de son histoire (appartement, odeur pestilentielle, femme anosmique et famille dysfonctionnelle) qu'il fait raconter par un narrateur. Cela produit un drôle d'effet, comme si on n'y était pas vraiment. Daniel Danis, un auteur que j'apprécie pourtant, conclut le tout avec Bricole d'imagie, un long épisode poético-dramatique où une mère autochtone veut ressusciter sa fille avec des potions et des incantations: l'idée est très porteuse, l'ajout d'un sixième sens est une excellente idée, il y a des phrases percutantes et de belles images, mais je suis restée perplexe, comme s'il manquait quelque chose pour que tout ça vienne me chercher.
(Benoît Lagrandeur et Guillaume Ouellet. Photo: Jean Briand)
Pour la mise en scène, Benoît Lagrandeur a choisi, logiquement, de mettre en évidence les similitudes entre les différentes parties, plutôt que d'insister sur leurs différences, en conservant par exemple une unité dans la scénographie (signée Serge Lapierre) où les mêmes éléments, reviennent, comme ce cercle lumineux où il y a des projections d'images et de textes, ou encore la position et les déplacements des personnages.
Il excelle d'ailleurs comme comédien dans plusieurs des pièces (il s'est même assis sur le siège voisin du mien dans la salle pour répondre à un appel téléphonique qui venait... de la scène), tout comme les autres, efficaces et polyvalents, qui accomplissent avec une grande maîtrise leur formidable et difficile travail: Émilie Gilbert-Gagnon, Patrice Leblanc, Guillaume Ouellet (que j'ai découvert) Sara Moisan et Guylaine Rivard.
Sus au vestiaire obligatoire!
Finalement, j'ai fort apprécié cette soirée qui avait pourtant très mal commencé: en haut de l'escalier qui mène à la salle, quelqu'un nous indique que le vestiaire est obligatoire. Le petit groupe au milieu duquel je me trouvais a donc dû redescendre les marches, et faire la queue au vestiaire où il n'y avait qu'une seule personne pour s'occuper de tous les vêtements.
C'est agressant et insultant, je trouve. Choisir librement de garder son manteau avec lui ou de le déposer au vestiaire, je considère que ça fait partie des droits du spectateur (à moins de circonstances bien particulières imposées par le spectacle lui-même). Nulle part, que ce soit à la Place des Arts, au Grand Théâtre, ou dans cette salle Pierrette-Gaudreault pour d'autres événements, on ne m'impose ce "vestiaire obligatoire".
Et en plus, il fait tellement froid dans cette salle que j'aurais bien aimé conserver mon manteau avec moi pour le mettre sur mes épaules...
À bon entendeur, salut!
Autres opinions sur la pièce:
Le Quotidien (texte incomplet)
25/09/2010
Salut Ricky!
48 ans, c'est bien jeune pour mourir. C'est à cet âge que l'homme de théâtre Ricky Tremblay est mort il y a quelques jours. Je l'ai fréquenté régulièrement quand je travaillais, c'était un homme doux et gentil que j'appréciais beaucoup. Véritable artiste, il avait toujours un ou deux projets en cours, peut-être un peu de difficulté à se fixer, mais une chose est sûre: c'était un passionné de théâtre qui aimait se perfectionner et approfondir les multiples aspects de ce métier.
Il a joué un rôle important dans le Rêve de Marguerite, spectacle musical qui fut monté au Palais des sports en 1997. (Il s'agit de Marguerite Belley, la fondatrice de Jonquière).
Ricky Tremblay, comédien professionnel, est crédible en meneur de jeu, maître de piste, commentateur et parfois aussi acteur du drame,
avais-je écrit à l'époque. (Pour ceux que cela intéresserait, ma critique complète de ce spectacle est ici).
C'est le monde régional du théâtre qui est en deuil, car Ricky a collaboré avec la plupart des troupes et avec tous ceux qui évoluent dans ce milieu, notamment les gens de la Rubrique.
Des nouvelles plus joyeuses:
- Parlant de La Rubrique, j'ai mis la main récemment son programme de diffusion en théâtre pour l'année et je le trouve particulièrement riche et intéressant. En fait j'ai envie de voir tous ces spectacles, même ceux pour jeune public.
- J'ai assisté il y a quelques semaines à une présentation du Théâtre de La Tortue noire à la salle Murdock. Très intéressant travail de manipulation d'objet, présenté à des connaissances et amis, afin de recueillir leurs commentaires. Dany Lefrançois, Sara Moisan (photo) et Guylaine Rivard ont présenté une suite de petites scènes axées sur l'interaction entre le corps (des comédiens) et des objets tels que matelas, lanternes, barres parallèles, poupées ou morceaux d'icelles. Cette lente exploration et/ou appropriation fait surgir des atmosphères parfois comiques, parfois troublantes, d'où se dégagent à l'occasion des bribes de scénarios, des considérations sur certains aspects de notre monde. Un travail fascinant mené avec rigueur, qui produira éventuellement un spectacle en bonne et due forme.
D'ailleurs le spectacle Kiwi, de la Tortue noire, fait partie de la programmation de la Rubrique, le 16 octobre. Ils reprennent aussi (bientôt mais je ne sais pas quand) leur amusante production Vie et mort du petit Chaperon rouge en 8 minutes ralenties.