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02/03/2011

Pour qui sonne Bungalopolis?

BungalopolisDans la même journée (samedi 26 février) j'ai vu deux opéras de grande qualité, situés aux antipodes (chronologiques et conceptuelles) l'un de l'autre: Iphigénie en Tauride, de Gluck (j'en ai parlé ici), et Bungalopolis, un opéra-cabaret conçu par le compositeur Maxime Goulet et ses complices.

Cette dernière production, présentée au théâtre Palace Arvida par la Société d'art lyrique du Royaume, sort réellement des sentiers battus, ceux de l'opéra, ceux de la musique, ceux du théâtre, dont elle retient cependant certains codes pour pour nous projeter dans l'univers déjanté de la bande dessinée, plus précisément des aventures de Jérôme Bigras, banlieusard moustachu et ventripotent créé par le bédéiste Jean-Paul Eid.

bungalopolis,société d'art lyrique du royaume,maxime goulet,jean-paul eid,jérôme bigrasLe concepteur Maxime Goulet invente une forme d'opéra moderne inspiré par les BD de Jean-Paul Eid (à gauche sur la photo, Maxime Goulet est à droite): le décor est celui d'une banlieue monotone (Bungalopolis) où les préoccupations des personnages touchent le gazon, le facteur, les vidanges, (ça fait penser à la petite vie, non?). Jérôme Bigras et ses voisins vivent des aventures extraordinaires, ils voyagent dans l'espace et dans le temps, ils rencontrent des étrangers, des gens qui leur veulent du mal, mais leur prosaïsme et -disons-le franchement- leur vulgarité désamorcent toute possibilité de véritable narration pour nous ramener à l'univers minimaliste de la banlieue où règne Jérôme Bigras, secondé par... Rex, sa fidèle tondeuse!

La parodie est l'un des ressorts de cette amusante production, comme l'indiquent les titres des 16 courts tableaux qui constituent les trois actes de l'opéra: Rascar Capac, Les aventuriers des objets perdus, Les hommes de matante, Passe-Jérôme tond le gazon, par exemple. Rien de tout ça n'est sérieux: il faut saisir les allusions (fines ou pas fines) et se laisser emporter par ce joyeux mélange d'absurde, de ridicule, de comique.

bungalopolis,société d'art lyrique du royaume,maxime goulet,jean-paul eid,jérôme bigrasComme à l'opéra, les (six) musiciens jouent en direct. Sur la scène, un écran affiche les planches des bandes dessinées (en noir en blanc) et les textes que chantent les quatre interprètes, Ariane Girard, Philippe Martel, Sylvain Paré et Dominique Côté (en ordre sur la photo), tous excellents. La musique, ultra-contemporaine, fascinante et accessible, est l'oeuvre de cinq jeunes compositeurs dynamiques et inventifs. L'un des points forts de l'oeuvre est d'ailleurs ce contraste pétillant entre le livret (vie quotidienne et propos triviaux) et la musique (pointue et audacieuse).

C'est un spectacle de grande qualité, ça bouge et ça déménage, c'est plutôt drôle, bref, on voit que tout le monde y a mis beaucoup de temps, de talent, et d'énergie.

Pour ma part, je me suis bien amusée, j'ai apprécié cet effort concerté d'un grand nombre de créateurs pour faire quelque chose de nouveau et d'éclaté, ce talent déployé dans tous les aspects de ce spectacle original: musique, mise en scène, conception, réalisation technique.

bungalopolis,société d'art lyrique du royaume,maxime goulet,jean-paul eid,jérôme bigrasMais pour le moment du moins, l'oeuvre ne semble pas avoir trouvé son public. Plusieurs des représentations prévues à l'origine ont été annulées, et celles qui ont eu lieu (à Jonquière et à Montréal) n'ont pas attiré les foules attendues. Tous ceux qui se sont déplacés ont adoré le spectacle, semble-t-il.

Mais comment convaincre, et qui convaincre? Pas de nom connu, musique contemporaine, complète nouveauté. Aînés amateurs de grands opéras? banlieusards avec enfants? intellos branchés? amateurs de jazz? artistes allumés? jeunes désargentés?

Difficile d'identifier le public-cible de Bungalopolis, véritable attracteur étrange qui tente de faire son chemin dans le monde déjà surpeuplé de l'offre de spectacle. Il faudrait une promotion tous azimuts, sur divers supports, qui titillerait la curiosité, des extraits, des critiques dans les grands médias... Difficile tout ça... et très cher.

Situation paradoxale puisque Bungalopolis possède au fond toutes les caractéristiques qui pourraient lui permettre de devenir une oeuvre-culte. Mais pour qu'elle le devienne vraiment, il faut qu'elle soit largement diffusée et connue. Un éventuel DVD trouvera peut-être son public plus facilement que le spectacle lui-même: je le leur souhaite, car tous ces gens débordent de talent et méritent attention et appréciation.