Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

23/01/2012

Le baroque enchanté

Moi qui affirme depuis toujours aimer la musique baroque, j'ai éprouvé quelques doutes quand j'ai assisté en décembre dernier à la projection de Rodelinda de Haendel, présenté au Metropolitan Opera: le contre-ténor avait un filet de voix et je m'y étais un peu ennuyée.

the enchanted island,metropolitan opera,david daniels,danielle de niese,joyce didonato

Est-ce que j'aime vraiment cette musique, m'étais-je demandé? La réponse est un immense oui, conforté par cette autre production du Met que j'ai vue samedi au cinéma Jonquière: The Enchanted Island, un nouvel opéra, un "pastiche baroque". Le livret de Jeremy Sams assemble deux pièces de Shakespeare plus un certain nombre d'éléments originaux, et le texte en anglais (un anglais de grande qualité m'a-t-il semblé à la lecture des sous-titres) est associé à plus de 40 pièces de musique baroque, en grande majorité de Haendel mais aussi de Vivaldi, Rameau, Purcell et quelques autres.

Après quelques moments d'inquiétude dans la salle du cinéma car un problème technique empêchait la transmission (c'était ainsi partout au Québec nous a-t-on dit), ce qui nous a fait manquer la présentation et l'ouverture, nous avons été d'un coup plongés dans ce monde, happés par la beauté, la profondeur et la richesse de cette musique servie par des interprètes de haut niveau.

Enfin un haute-contre, David Daniels, qui chante (le rôle de Prospero) superbement et à plein volume, à qui la soprano Danielle De Niese (Ariel), véritable tourbillon de charme et d'entrain, donne la réplique en multipliant les ornementations avec une extraordinaire aisance, tandis que l'orchestre, dynamique et percutant, dirigé par William Christie (l'un des initiateurs du projet, avec le directeur du Met Peter Gelb), ponctue et accentue chaque passage de façon enlevante.

Tous les interprètes font assaut des plus grandes qualités vocales et dramatiques, que ce soit la magnifique mezzo Joyce DiDonato, en sorcière, ou bien le superbe baryton-basse Luca Pisaroni (tous deux sur la première photo), celui-là même qui jouait Leporello dans le récent Don Giovanni du Met, et qui apparaît ici sous les traits de son fils, le difforme Caliban, mort-vivant aux oripeaux death metal. Ou encore Lisette de Oropesa, excellente dans le rôle de Miranda, et l'autre contre-ténor, le jeune Anthony Roth Constanzo (il a d'ailleurs remplacé David Daniels dans le rôle de Prospero pour quelques représentations de L'Île enchantée), qui nous charme par la beauté de sa voix dans son (seul) grand solo et dans son duo. Chacun des membres du quatuor des naufragés est tout aussi agréable à voir et à entendre.

the enchanted island,metropolitan opera,david daniels,danielle de niese,joyce didonatoL'histoire se passe sur une îleProspero règne en tyran. Une tempête (celle de Shakespeare!) y déverse deux couples en voyage de noces qu'on n'attendait pas. Quelques-uns de ces naufragés, ayant absorbé des potions magiques mal dosées ou qui ne leur étaient pas destinées, forment des couples improbables avec les habitants de l'île, qui eux voudraient bien se libérer du joug de Prospero. C'est une histoire amusante, charmante, étonnante, qui fait place à quelques beaux moments d'intense émotion.

Pour les créateurs, une occasion unique de mettre en lumière des décors fabuleux et fantaisistes (parfois un peu kétaines mais bon): une caverne, une forêt magique, des arbres qui s'illuminent, des animaux fantastiques, la mer, les bateaux, les vagues.

Et la grandiose apparition de Neptune, en direct de l'océan sur son trône en forme de coquillage, entouré de sirènes et autres créatures marines. Ce dieu de la mer est chanté par Placido Domingo, qui fêtait ce jour-là son 71e anniversaire: un peu fatigué mais chantant encore assez bien ce rôle bien fait pour lui. "C'est la première fois que j'interprète un dieu", disait-il à Deborah Voigt à l'entracte.

the enchanted island,metropolitan opera,david daniels,danielle de niese,joyce didonato

Il y a aussi un extraordinaire ballet, pastiche moderne et déjanté du traditionnel ballet d'opéra.

Les puristes hurleront peut-être (d'ailleurs ils ont hurlé dans certains médias new-yorkais), mais pour moi c'est une réussite totale. Tout y est: voix, musique, décors, livret intelligent et inventif (sauf peut-être quelques longueurs, quelques scènes un peu inutiles en deuxième partie): on ne se lasse pas d'écouter et de regarder.

Mais en premier lieu sans doute, il y a cette impression très nette que toute l'équipe, autant les concepteurs que les chanteurs-acteurs, met toute son énergie, travaille dans la même direction et se donne à fond pour faire exister cette merveilleuse fantaisie, dans le seul but de créer un lieu et un espace de plaisir partagé.

Même loin, même au cinéma on sentait bien, grâce à la magie du direct, cette chimie, ce petit plus, cette étincelle qui s'allume quand tout le monde est en phase et totalement engagé, bref, quand le tout est plus grand que la somme des parties.