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10/03/2014

Amour, prison et maths

Mon père m'a donné cet objet quand il a déménagé il y a quelque temps:

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Il l'avait reçu de sa mère, et elle-même l'avait hérité d'un parent. Dans la famille (et peut-être partout au Québec), on appelait cela le jeu du prisonnier et c'est sous ce nom que papa me l'a désigné quand, enfant, je lui ai demandé ce que c'était.

Comme on peut le voir, ce n'est pas un objet usiné: il  semble avoir été été gossé à la main,  peut-être par un forgeron. Il est beau dans sa simplicité rustique, je l'aime bien.

Il est fait de 14 tiges de métal fixées par une boucle à une bande métallique trouée. À leur autre extrémité elles se terminent par un anneau mobile enfilé (ou non) sur une double tringle. Le but du jeu est de faire glisser les anneaux hors de cette tringle, de façon à finalement séparer les deux parties horizontales. Ou encore, si elles sont séparées, à remettre à nouveau tous les anneaux sur la tringle.

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On ne peut pas glisser hors de la tringle l'anneau qui est le plus près de l'extrémité, mais uniquement celui qui est derrière le premier. Donc, pour enlever le deuxième anneau, il faut remettre le premier, puis enlever le deuxième et le premier. Pour le troisième, il faut remettre le deuxième et le premier, enlever le deuxième (en remettant le premier), enlever le premier.

Et pour le sixième, par exemple, il faut refaire tous les mouvements qu'on a faits pour enlever le premier, le deuxième et les trois autres, et pour chacun de ceux-ci, refaire également toute l'opération, et ainsi de suite.

Vous voyez le genre: un casse-tête qui demande de la patience et un temps infini.

Selon la légende québécoise, un juge fit remettre un exemplaire de ce casse-tête à un criminel qu'il venait de condamner à la prison. "Tu pourras sortir quand tu l'auras complété", dit-il à l'homme qui se mit aussitôt à l'oeuvre... et mourut néanmoins dans son cachot! D'où son nom: le jeu du prisonnier.

On le dit créé au 2e siècle de notre ère par le général chinois Chu-ko Liang (ou par un simple soldat selon une autre version) qui, au moment de partir à la guerre, le remit à sa femme pour lui permettre de se désennuyer pendant son absence!

Dans une version plus romantique, un amoureux l'offrit à sa bien-aimée en lui faisant promettre de l'aimer jusqu'à ce qu'elle ait terminé le jeu. (Très risqué, ça...)

Les Français le connaissent sous le nom de jeu du baguenaudier et les anglophones l'appellent le jeu des anneaux chinois (chinese rings). Il en existe différentes versions, comportant un nombre variable de tiges. En voici un très joli exemplaire:

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Et encore un autre:

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Et enfin celui-ci, qui ressemble beaucoup au mien, mais en plus  raffiné:

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Pour terminer, la résolution de ce puzzle peut être exprimée par une formule mathématique que l'on doit au mathématicien italien du 16e siècle Jérôme Cardan, c'est pourquoi le jeu est aussi appelé anneaux de Cardan.

Cette formule, utilisée en calcul binaire, serait donc à l'origine des calculatrices électroniques et des ordinateurs d'aujourd'hui...
Selon mes propres calculs, il me faudrait effectuer 10922 mouvements sur mon jeu du prisonnier pour le réussir en entier...

 

 

22/06/2011

Qin: empereur et fossoyeur des Chinois

empereur guerrier,chine,musée des beaux-arts,montréalPlus que quelques jours pour voir l'exposition L'empereur guerrier de Chine et son armée de terre cuite au Musée des beaux-arts de Montréal (jusqu'au 26 juin). Une formidable exposition qui donne à voir des pièces fabuleuses, soldats, chevaux, artéfacts, éléments de décor façonnés avec une extrême précision. Des objets en terre cuite que le Premier Empereur a fait fabriquer et placer dans un mausolée, immense complexe funéraire où il voulait reproduire sous terre le monde vivant qui l'entourait.empereur guerrier,chine,musée des beaux-arts,montréal

Il s'agit là d'une infime partie des 8000 soldats mis au jour par les archéologues dans la nécropole chinoise, où se trouvaient aussi des chevaux, des chars, et des milieux de vie reconstitués: jardins, parterres, rivières, animaux.

Ce monde figé dans la pierre pour l'éternité a déteint sur la Chine réelle et sur ceux qui l'habitent aujourd'hui. Comme le dit si bien Jack dans cette brillante analyse, l'empereur Qin Shi Huangdi marquait ainsi pour longtemps le destin de la Chine: secrète, fermée, communiquant difficilement avec les autres nations, dirigée par des tyrans pour lesquels le peuple est forclos: une Chine atteinte d'autisme, pourrait-on dire.

J'ai trouvé dans ce propos de Jack les raisons de mon ambivalence. C'est que j'étais tiraillée entre d'une part: mon admiration pour la beauté des pièces; mon plaisir de découvrir tout ce pan de l'histoire humaine que je connaissais bien peu; enchantée par les faits historiques que révèlent ces objets, qu'il s'agisse de poteries, de bijoux, ou de tuyaux d'égout de l'époque; renseignée encore davantage par l'audioguide et les cartels; impressionnée d'avoir sous les yeux ces témoins d'un monde lointain qui ont voyagé dans le temps et dans l'espace pour venir jusqu'à moi.

D'autre part: un léger malaise devant l'entreprise irrationnelle et mortifière d'un homme qui voulait peut-être défier le destin, qui a peut-être cru que cette nécropole le protégerait contre sa propre mort; malaise aussi à l'idée de tous ces ouvriers et artisans qui ont souffert et sont morts en travaillant à concrétiser le caprice fou de leur maître. Le nom de l'empereur Qin est parvenu jusqu'à nous, mais pas celui de ces humbles travailleurs...

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