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18/09/2011

Les chiens, la langue, la roche

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En faisant le ménage de mes vieux papiers, j'ai retrouvé ceci: La langue des chiens de roche. C'est le tapuscrit, et la première ébauche sans doute, du texte de Daniel Danis qui devait être publié en France et au Québec quelques années plus tard sous son titre définitif: Le Langue-à langue des chiens de roche.

Le document m'a été remis en 1999 par Alain Dassylva, professeur de français au Cégep de Chicoutimi. Il présentait à ses élèves une lecture publique de ce texte et m'avait idaniel danis,le langue à langue des chiens de roche,cégep de chicoutimi,théâtre,lecture publiquenvitée à y assister, à titre de journaliste, pour en faire un compte rendu dans Le Quotidien.

J'étais très intéressée car Cendres de Cailloux, une autre pièce de Daniel Danis que j'avais vue à Jonquière (présentation -et création si je me souviens bien- de La Rubrique) en 1994, dans une mise en scène fabuleuse qui plongeait le public et presque toute la scène dans une complète obscurité, m'avait totalement éblouie(!).

Et j'ai été également subjuguée par ce nouveau texte de Danis, décidément un auteur exceptionnel, toujours attaché au Saguenay même s'il est né en Outaouais. Ses pièces ont été jouées en France et dans plusieurs villes du monde. Il est encore actif, on peut avoir une idée de son théâtre sur ce site.

 

Voici ce que j'avais écrit dans Le Quotidien du 1er avril 1999:

 

«La langue des chiens de roche»
Un moment exceptionnel de théâtre à Chicoutimi

Pelletier, Denise

Un moment exceptionnel de théâtre s'est vécu hier midi à l'auditorium Dufour: la lecture publique du texte «La langue des chiens de roche», de Daniel Danis. Exceptionnel par la qualité de la pièce, et par le silence, à la fois attentif et tendu (et donc révélateur de son efficacité), dans lequel elle a été reçue par le public, formé en majorité d'étudiants du Cégep.
Les neuf comédiens, assis sur des chaises à l'avant du rideau, se levaient tour à tour pour aller à l'avant lire leurs scènes. Neuf personnages, c'est beaucoup, et pourtant, grâce au jeu des comédiens et à la structure du texte, ils sont vite devenus familiers au public: la jeune Djoukie quêtant l'amour de sa mère, la mère au coeur figé, Coyote l'organisateur de parties «rage», Léo le bon père, ses deux fils, Déesse et les autres.
Des personnages en quête d'amour, à la recherche d'eux-mêmes, du sens de la vie. La pièce, très forte, parle d'amour, de sexe, de haine, de guerre, d'oubli et de souvenir. Il y a des soirées orgiaques, des rencontres amoureuses, des révélations, des récits tendres ou atroces, sur une île isolée, dans une atmosphère rendue glauque et trouble par la présence de chiens innombrables, qu'on entend mais qu'on ne voit jamais. Des moments à la limite du supportable, quand Simon raconte un souvenir de guerre, par exemple d'autres qui sont plus légers, quelques-uns très drôles. On y retrouve le style unique de Daniel Danis, qui imbrique les passages poétiques, les descriptions réalistes, le langage cru, le français international et la langue populaire québécoise, les incantations récurrentes et les répliques du tac au tac.
Les comédiens, dirigés par Daniel Danis qui jouait le personnage du père, soit Dominick Bédard (Coyote), Nadia Simard (Déesse), Marie-Pascale Côté (Djoukie), Chantal Éric Dumais (Joëlle), Guillaume Simard (Niki), Simon Bouchard (Charles), Julie Morin (Murielle) et Stéfane Guignard (Simon) ont tous été excellents dans ce superbe texte, qu'ils connaissaient manifestement très bien, même s'ils avaient en main leur manuscrit. Quelques erreurs et hésitations, tout à fait acceptables dans le cadre d'une lecture publique, n'ont en rien empêché le courant de passer entre la scène et la salle.
Les comédiens, qui ont déjà présenté cette lecture de «La langue des chiens de roche» au Côté-Cour, se disaient prêts, à l'issue de la représentation d'hier, à recommencer n'importe quand.

 

Il est à noter que quelques-uns de ces comédiens d'alors sont, encore aujourd'hui, très actifs dans le domaine du théâtre.

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(Daniel Danis. Photo: Jocelyn Bernier, Le Soleil)

 

J'ai interviewé Daniel Danis à quelques reprises pour le journal. J'ai aussi vu (et critiqué)  favorablement sa pièce Celle-là, présentée aussi par La Rubrique, et plus récemment l'excellent Kiwi, qui met également en scène de jeunes marginaux, monté par le théâtre de la Tortue Noire dans une mise en scène de Guylaine Rivard. J'en ai parlé dans ce billet.

11/09/2011

Clowns en stock

clowns noirs,en attendant l'dégât d'eau,diogène,trac,saguenay,théâtre en régionEn reprenant un spectacle monté en 2006, le Théâtre du Faux-Coffre fait preuve d'audace et conclut avec panache le cycle de spectacles solos proposés par chacun des cinq Clowns noirs en 2010-2011. (J'ai vu quatre d'entre eux, tous excellents). Ils se mettent à cinq pour offrir au public un opus renouvelé, amusant et terrifiant: En attendant l'dégât d'eau (la dernière représentation avait lieu samedi).

 

Et voilà donc Diogène, Trac, Contrecoeur, Grossomodo et Piédestal (leurs portraits sont ici) aux prises avec leur éternelle bibitte: comment être artiste, et en vivre, surtout en région éloignée.

Subventions refusées: ils meurent de faim.

Seule solution: travailler pour des gens qui les paieront.

Clown dans un hôpital, dans un cirque clowns noirs,en attendant l'dégât d'eau,diogène,trac,saguenay,théâtre en régiondes horreurs, clown sans frontière: ils essaiment dans une multitude de décors, bar, rodéo, cirque, le tout figuré par quelques draps, un grand coffre en planches, une boîte de carton et quelques accessoires. Seul Piédestal n'a pas trouvé d'emploi: ayant simulé une grippe aviaire pour éviter d'être mangé par ses amis affamés(!), il doit aller se faire soigner à l'hôpital. Mais il voyagera, lui aussi...

Chacun des cinq comédiens incarne plusieurs des personnages de cette galerie extravagante et hilarante, montrant sa polyvalence et les multiples facettes de son talent. Ils savent chanter, mimer, crier, parler sur tous les tons, chuchoter, grimacer, courir, sous les traits d'un vieux malcommode, d'un médecin incompétent, d'un douanier qui a des problèmes personnels, d'un cowboy dépressif, d'une femme (bravo Trac!), d'un avion...

Ils expriment tout: angoisse, espoir, colère, tristesse, générosité, lâcheté, courage, selon ce qui leur arrive. Ce sont des clowns humains, nos frères.

L'intrigue se développe aussi: traqués, ils doivent échapper aux agents de la brigade anticultures.

C'est vivant et rigolo, un peu brouillon à l'occasion, mais tout de même, les clowns noirs

naviguent avec bonheur entre parodie, imitation, citation et texte original.

Sans oublier le tissage du récit, les réminiscences (par exemple aux spectacles solos), les rappels d'une scène à l'autre. On déclame du Shakespeare, Tchaïkovsky signe la musique, on émaille le tout d'allusions à l'actualité régionale et internationale.

Même Tintin est de la partie: l'affiche évoque l'album Coke en Stock, une scène de la pièce reproduit celle où Tintin découvre des esclaves enfermés dans la cale d'un bateau, et le reporter belge joue un rôle dans le dénouement de l'intrigue.

Le tout tendu sur la fiction, établie dès le départ en complicité avec le public, d'un déluge imminent, dont les clowns noirs veulent sauver les gens, du moins ceux qui sont assis devant eux.

Vendredi, la salle Murdock était comble et le public a eu pour son argent... le prix d'entrée étant fixé à 137$ pour les adultes (voyez le billet que Diogène a confectionné pour moi, pour ma collection). Cependant, si on apportait une boîte de conserve (article de survie en cas de déluge) on ne payait que 20$.

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Enfin, bref, c'était une bien agréable soirée.

Roger Blackburn écrivait dans Le Quotidien (article complet ici):

"Trahison, coup de théâtre, la brigade anticulture se cache dans tous les coins de l'aventure afin de prendre au piège ces artistes qui osent faire du théâtre dans une région éloignée. Chaque clown de la troupe campe bien son caractère, qu'il soit naïf, tendre, joyeux, paresseux, intello, cartésien, sensible, colérique, chacun fait avancer l'histoire. Patrice Leblanc, dans le rôle de Trac, avec son bâton de baseball comme accessoire de théâtre, se retrouve dans la peau de plusieurs personnages avec toujours autant d'intensité. Même les clowns sans éclat, triste et ternes arrivent à réveiller des graines de héros en eux."

On ne saurait mieux dire.

Bravo aux Clowns noirs!

29/08/2011

Dramaturge en herbe

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Ma tante Yvette, à qui je rendais visite récemment, m'a raconté un souvenir d'enfance que j'ai trouvé bien charmant. Se déguiser avec les moyens du bord, monter un spectacle, jouer devant ses amis et parents: on appelait ça (à son époque et plus tard à la mienne) faire une séance.

Cela se passait à Kénogami. Ma tante, alors âgée d'une dizaine d'années, a réalisé un grand projet. Elle a écrit elle-même une pièce de théâtre (de quoi ça parlait, elle ne le sait plus), et recruté quelques amies comme comédiennes. Des draps prêtés par une parente furent transformés en rideau de scène. Découpé et collé, le papier du moulin (des retailles fournies par l'oncle qui y travaillait) s'est transformé en costumes, chapeaux, accessoires: tous blancs et/ou roses, les deux seules couleurs disponibles!perruque9.jpg

Ma tante a aussi fabriqué les bancs pour le public, en clouant des planches de bois sur des madriers.

Il y avait 42 places, très exactement, et la pièce a fait salle comble: 42 spectateurs, enfants et adultes, ont payé leur droit d'entrée: un sou. Ce qui fit 42 sous de profit, (il n'y avait pas de dépenses...).

Plutôt que d'investir cette somme dans une nouvelle production(!), les fillettes s'en servirent pour acheter du sucre à la crème à une voisine experte en la matière. (Quelle frivolité!)

(Est-ce pour cette raison? Toujours est-il que, même si elle semblait -relativement- bien partie pour une carrière au théâtre, Yvette n'a pas persévéré dans cette voie: elle a plus tard exercé la belle profession d'infirmière).

Son récit m'a fait penser au théâtre de la Pulperie, à Chicoutimi: il me semble que les artistes qui y travaillent ne sont guère mieux lotis que ces enfants qui faisaient des séances dans le garage autrefois....

25/07/2011

Un Labiche gonflé aux 100 Masques

Fidèle à sa tradition, le Théâtre 100 Masques nous a servi sur un plateau grinçant une comédie classique montée comme une mayonnaise et gonflée à l'hélium de la caricature et du vaudeville.

Après Aristophane, Molière, Sacha Guitry, le metteur en scène Dario Larouche et son équipe avaient cet été jeté leur dévolu sur  Eugène Labiche, avec L'Affaire de la rue Lourcine (la dernière représentation a eu lieu ce dimanche).

rue Lourcine,100 Masques, Dario Larouche, LabicheLa scène ridiculement petite de la salle Murcock (Chicoutimi) avait peine à contenir les comédiens, pour la plupart démesurément rembourrés et grimés. Avec un admirable abandon, ceux-ci ont su répondre aux exigences du texte et du metteur en scène pour incarner des personnages de cette farce loufoque et burlesque, qui n'ont que haine, agressivité, mots durs envers leur semblables.

Le sujet: deux compères se croient les auteurs d'un assassinat, qu'ils auraient commis pendant une nuit de beuverie dont ils ont tout oublié.

Avoir de l'argent, satisfaire leurs besoins primaires, cacher leurs incartades, voilà tout ce qui préoccupe ces êtres cupides et hypocrites qui ont pour seule fonction... de faire fonctionner la pièce. Même le jeune enfant que l'on va baptiser n'attendrit personne: tous le désignent du doux nom de bâtard.

Les comédiens et comédiennes, donc, Sébastien Bouchard, Louison Renaud, Patrick Simard, Érika Brisson, et Mélanie Potvin multiplient les grimaces, les assauts verbaux, les gros mots, les sacres (québécois) et les chansons (québécoises): c'est grinçant, burlesque, osé, drôle même si on rit parfois un peu jaune.l'affaire de la rue lourcine,100 masques,dario larouche,eugène labiche,chicoutimi

La mise en scène, comme c'est le cas pour toute comédie, repose sur un parfait synchronisme de plusieurs éléments, et c'est en général assez réussi. La ponctuation musicale rythme efficacement et comiquement le tout. Un bel effet est notamment créé par ces quelques notes de musique qui soulignent les réactions (de peur et d'incrédulité) des deux hommes à la lecture d'un fait divers où ils croient avoir joué un rôle.

La tradition du panégyrique (des donateurs) est au rendez-vous: présenté par une seule comédienne, cette fois avant l'entrée en salle, le texte (bien plus comique que celui de Labiche) évoque les traditions du théâtre en y intégrant les noms de plus d'une centaine de donateurs et commanditaires.

Dario Larouche tient sur son blogue une chronique de son travail pour chaque production qu'il monte, et c'est passionnant à lire (surtout après avoir vu le résultat final!), car il est rare que l'on ait accès au point de vue du metteur en scène. Dans un de ses billets récents, il évoque  son insatisfaction quant à cette production (et aux autres qu'il a mises en scène). Outre de souligner que l'insatisfaction est un moteur important de la création artistique, on peut dire que les productions des 100 Masques, incluant L'Affaire de la rue Lourcine, demeurent des merveilles d'ingéniosité et de travail théâtral en profondeur, qui arrivent au spectateur malgré le peu de temps (de répétition) et de moyens (financiers) dont dispose la troupe.

Par ailleurs si la pièce n'a pas le mordant de L'Assemblée des femmes ou du Médecin malgré lui (précédemment présentées par  les 100 Masques) c'est peut-être que la critique sociale en est quasi absente.

Et ça, c'est la faute de Labiche... pas de Larouche!

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Il en a été question ici:

Critique élogieuse dans Le Quotidien (reproduite sur le blogue de DL)

Très bon billet de Jack sur un aspect particulier de la pièce

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13/07/2011

Palais Garnier: au coeur du mythe

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Le décès récent du grand chorégraphe Roland Petit m'a rappellé ma visite, l'automne dernier, au Palais Garnier de l'Opéra national de Paris. Mon conjoint et moi voulions absolument assister à un concert dans cette salle mythique

J'aurais bien aimé y voir un grand opéra, mais vu les contraintes de toute sorte, ce n'était pas possible. Nous avons donc assisté le samedi 2 octobre en après-midi, à un programme de ballet qui comprenait trois chorégraphies de Roland Petit, dont sa plus célèbre, Le Jeune homme et la mort.  C'était aussi la plus belle et la plus émouvante, surtout que la musique est une Passacaille de Bach. Les deux autres, Le Loup et Le Rendez-vous, étaient également intéressantes, plongeant dans des univers que nous connaissons bien, ceux de Joseph Kosma, de Picasso (pour un rideau de scène), de Cocteau, de Jean Anouilh. Si cela vous intéresse, vous pouvez aller lire la critique publiée dans Le Monde. On peut y voir notamment que la carrière de Roland Petit a été étroitement associée à l'Opéra Garnier.

J'ai fait les réservations par Internet, avant le départ pour Paris: ce fut efficace, rapide, vraiment pas compliqué.

 

(Sur cette vidéo, Le Jeune homme et la mort, dansé par Zizi Jeanmaire (femme de Roland Petit) et Rudolf Noureev. Chorégraphie de Roland Petit créée en 1946 et filmée en 1966)

Arrivés bien en avance, nous avons tourné autour du théâtre, admiré et photographié sous tous les angles posssibles ce chef-d'oeuvre de l'architecte Charles Garnier.

Quand nous sommes entrés, nos billets étaient bien là, au guichet, de même que le programme que j'avais réservé et payé à l'avance (et que je ne retrouve plus!!!). Ci-dessous, mon billet, payé 89 euros pour une place au centre, dans l'un des nombreux balcons.

opéra de paris, Roland Petit, ballet, palais GarnierLe rouge et or domine dans la salle: les sièges, les tentures, le rideau de scène "au drapé rouge et or et peint en trompe-l'œil". Le grand lustre de cristal (il pèse environ huit tonnes) suspendu au plafond peint par Chagall, m'a semblé exactement comme celui qui tombe dans Le Fantôme de l'Opéra, de Gaston Leroux (il y a eu aussi une comédie musicale, je crois...). Tout cela est fort impressionnant. On se sent vraiment quelque part, dans un lieu exceptionnel.

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Il régnait cependant dans cette salle une chaleur torride, les sièges étaient plutôt inconfortables, et j'avais devant moi une femme portant une coiffure gigantesque... qui a eu le bon goût de disparaître à un moment donné...

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L'entracte nous a permis de nous promener dans le célèbre grand escalier, d'admirer les sculptures, les statues, les lustres et autres lampes, l'ornementation, la décoration (style Napoléon III)... et de constater que ça sentait très mauvais près des toilettes des hommes.

Voilà un petit film que j'y ai tourné (essayez d'identifier l'acteur principal, il est très célèbre):

Somme toute, je suis vraiment heureuse d'être allée à cette représentation: pour Roland Petit, pour le ballet, pour Paris, pour la salle, pour tout ce que j'y ai vu et ressenti.

Et depuis quand le mythe doit-il être climatisé, confortable, sentir la rose et correspondre à nos attentes? Il doit au contraire nous surprendre, nous déstabiliser, parfois même nous déplaire à prime abord. Il faut du temps pour l'apprivoiser, il faut y repenser, réfléchir, en tirer des enseignements: peu à peu il s'insère dans la trame de notre vie, réelle et imaginaire, il devient partie intégrante de notre passé et de notre futur.

Voilà ce qu'est devenu pour moi

le Palais Garnier.

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(Les danseurs Eleonora Abbagnato et Nicolas Le Riche saluent après leur magnifique prestation dans Le jeune homme et la mort)

02/07/2011

DSK, le film

dsk.jpgAccusations très graves, séjour en prison, assignation à résidence, descente aux enfers d'un homme puissant et respecté, peut-être le futur président de la France. Et puis un revirement spectaculaire: la crédibilité de la victime est mise en doute, le paria d'hier retrouve un peu de sa superbe... et son sourire.

Combiné à la justice-spectacle à l'américaine qui fait bien peu de cas de la présomption d'innocence, le bruit médiatique est tel qu'il devient impossible, pour nous qui suivons les péripéties de l'histoire dans les journaux ou à la télévision,  de considérer Dominique Strauss-Kahn comme un être humain ordinaire.

Il devient un personnage, le héros d'un film ou d'un roman de John Grisham. Ce n'est plus un homme, mais la somme de tout ce qui est écrit, raconté, publié sur lui. Ce n'est plus une personne, mais un tourbillon de mots et d'images où il devient impossible de distinguer les faits des présomptions, la vérité de la rumeur.

A-t-il agressé, violé la femme de chambre qui l'accuse? Tout à coup, cette question passe au second plan (on peut le regretter, mais c'est ainsi). Si le témoignage de la victime devient non crédible parce qu'elle a menti sur certains aspects de sa vie, si l'image (elle aussi puisée dans la fiction romanesque) qu'elle a donnée d'elle-même, celle d'une immigrante gagnant honnêtement et modestement sa vie s'avère inexacte, l'accusation ne pourra pas tenir, et cela même si certains faits qu'elle a relatés sont vrais.

27/03/2011

Antigone, aujourd'hui

Un groupe de comédiens et de gens de théâtre. Des créateurs qui veulent créer. Ils ont monté Antigone, de Sophocle. (Cinq représentations, c'est déjà terminé).
Un choix audacieux. Le théâtre grec, aujourd'hui?  Vraiment??? Eh bien croyez-le ou non, c'est plus que pertinent. En écoutant les propos de Créon, le roi de Thèbes, fort bien joué par un Éric Rénald vêtu d'un pantalon de camouflage et tenant un bâton de golf en guise de sceptre, on jurerait entendre Kadhafi. Aujourd'hui. Ou d'autres dictateurs, à d'autres moments de l'histoire:  Hitler,  Ceaucescu, Pinochet... Nommez-les.
antigone,sophocle,100 masques,natas,maude cournoyerLe pouvoir les aveugle tous. "Ils empiètent sur le rôle des dieux", et finissent par croire que ce pouvoir est le leur. Qu'ils sont le pouvoir. Et que cela leur donne tous les droits sur tous ceux qui les entourent.
Donc le roi de Thèbes, aujourd'hui, nous parle de nous et de notre monde.
Et à entendre Antigone, la fille d'Oedipe, la rebelle qui ose défier son autorité, comment ne pas penser aux femmes, celles d'ici et d'ailleurs, dominées, humiliées, contraintes se soumettre à des lois iniques sous peine de mort. De mourir avant de mourir, comme le dit Antigone.

Le collectif N.A.T.A.S. (Notre Association Théâtrale Au Saguenay) a donc relevé le défi du laboratoire annuel de création du Théâtre 100 Masques. Et pas n'importe quels comédiens. Pour les trois rôles principaux (et quelques rôles secondaires): Maude Cournoyer (Antigone), Mélanie Potvin (Ismène) et Éric Renald (Créon), se montrent intenses et brûlants tout en conservant un ton égal et posé. antigone,sophocle,100 masques,natas,maude cournoyer

François-Matthieu Hotte, jeune cinéaste créatif et rebelle, signe sa première mise en scène pour le théâtre... et rien n'y paraît. Contraint à la sobriété par des moyens financiers plus que modestes, il a finalement fait de cette sobriété un élément essentiel de son travail (il explique sa démarche ici). Optant pour une réjouissante scénographie de récupération truffée d'anachronismes, vieilles tables, feuilles de papier, costumes minimalistes, et pour un fond sonore savamment mixé (musique, bruitages, sons déformés et stridents), il a consacré la plus grande partie de ses efforts au travail du texte avec les comédiens.
Maude Cournoyer est formidable dans le rôle de la jeune et pure Antigone, toute préoccupée de donner une sépulture à son frère Polynice, défiant les ordres de son oncle Créon. La comédienne, qui est d'ailleurs à l'origine de ce projet, a concocté sa propre adaptation du texte de Sophocle. Puisée à plusieurs traductions et sources (j'ai cru y déceler un zeste de l'Antigone d'Anouilh, mais je peux me tromper), sa version-adaptation parle une langue directe et simple, qui confère au propos une clarté troublante. Surtout que tous, comédiens et  coryphées, affichent une diction et un phrasé impeccables.

antigone,sophocle,100 masques,natas,maude cournoyerÀ cette équipe allumée et compétente, ajoutez un vieil auditorium au charme suranné (celui de l'ancien couvent du Bon Conseil, rue Racine),  une trentaine de personnes vendredi après-midi, et voilà: c'est magique, Antigone vit sous nos yeux, s'interroge, se révolte, et meurt, comme tous les autres protagonistes de cette tragédie.

Les grands thèmes qui préoccupent encore aujourd'hui l'humanité pensante, vie, mort, honneur, fidélité, soumission, courage, rébellion, loi, morale, cupidité, amour (bien peu celui-là), sont ici abordés. Les enjeux sont clairs... les solutions le sont un peu moins...

Je me rappelle mes années de collège et je me démêle une fois de plus (avec l'aide de mon voisin) dans la tragédie et la mythologie grecques, entre Eschyle, Euripide, Sophocle, entre les cycles de Thèbes (celui-ci), de Mycènes, d'Athènes. Mélangées aux récits de la Bible et de l'Évangile, ce sont les sources de ma culture.
Et je regrette que cette production n'ait pu, pour des raisons diverses, être présentée à ceux, justement, que notre système d'éducation secondaire et collégial prive chaque jour de cette culture...

Bonne fête à vous tous, gens de théâtre

Aujourd'hui, dimanche 27 mars, c'est la JOURNÉE MONDIALE DU THÉÂTRE. Elle est célébrée par des activités, des spectacles, des messages. Le message québécois est ici.

Pour ma part (avant de parler justement d'une autre remarquable création), je veux souhaiter tout spécialement BONNE FÊTE  à tous les comédiens, créateurs, techniciens, à tous les artisans du théâtre au Saguenay-Lac-Saint-Jean (on en voit plusieurs dans la vidéo ci-dessus), qui accomplissent un travail formidable avec peu de moyens, qui persistent et signent malgré les obstacles, et qui, bon an mal an, créent, montent, et diffusent des oeuvres en tous genres, pour le plus grand plaisir d'un public certes peu nombreux, mais fidèle et ravi. Et je n'ai qu'un seul mot, en forme de souhait:

CONTINUEZ!!!

03/03/2011

Recto-Verso: sous la jupe des marionnettes

recto-verso,vicky côté,salle murdock,patrick simardExpérience un peu troublante dimanche dernier (27 février): je suis allée voir un spectacle... et nous étions deux spectateurs dans la salle: moi et le facteur culturel! Les six concepteurs et artisans auraient pu annuler, mais ils ont décidé de jouer... pour nous deux:  c'était très bon, et j'ai finalement aimé l'expérience.

Heureusement, c'était à la salle Murdock, qui est plutôt petite.

Le spectacle: Recto-Verso, conçu par Vicky Côté, dont je suis le travail depuis quelques années, et Patrick Simard. Les deux artistes (entourés de quelques collaborateurs) assurent la conception, l'écriture, la scénographie, et bien entendu l'interprétation de cette courte pièce divisée en deux parties. D'abord, un spectacle de marionnettes: au bar-discothèque le Boa, barman, disc-jockey, employés et clients se recto-verso,vicky côté,salle murdock,patrick simardrencontrent, se confient, s'affrontent, vivent des drames grands et petits, des histoires d'amour, entre les cocktails, la musique, le karaoké et la danse.

Les marionnettes qui représentent ces personnages sont grossièrement bricolées, pas vraiment jolies, l'ambiance est à la fois glauque, trash... et sympathique. On sent que tout ça est à prendre au second degré, c'est relativement amusant et tout se termine bien...

Mais justement, ce n'est pas fini. Voici que commence la deuxième partie: les deux manipulateurs, invisibles jusque-là, se présentent au public, décrochent tous les rideaux et tissus qui les dissimulaient pendant la représentation, enlèvent leurs vêtements noirs, sous lesquels ils portent un costume blanc. Et ils rejouent le même spectacle, mais cette fois, on les voit, on voit le détail de leur travail: deux êtres humains accroupis dans un espace réduit, obligés, pour suivre la bande sonore qui défile implacablement, de lever le bras, de changer d'accessoires, de se déplacer, de se toucher, de ne pas parler, de faire vite. Un travail, un travail comme un autre,  routinier ou ennuyeux par moment.

recto-verso,vicky côté,salle murdock,patrick simardIls vivent eux-mêmes, en direct devant nous, une tranche de leur propre vie: moments de complicité, tentative de rapprochement, colère, réconciliation. Tenus au silence, ils s'expriment par petits gestes ou regards, en contradiction ou en accord avec ceux qui sont commandés par le spectacle.

Fascinante, cette présentation de l'histoire sous l'histoire, cette mise en abyme qui met en parallèle, par un jeu de similitudes et  de contrastes, l'aventure humaine supposée être la vraie, tandis que celle des marionnettes serait une fiction. Mais nous sommes au théâtre, donc dans la fiction de toute façon. Il faudrait donc peut-être établir une gradation dans la teneur fictionnelle (de chacun des deux univers): question intéressante pour les théoriciens, non?

À la fois comique et troublant, Recto-Verso est réalisé avec peu de moyens financiers (comme en général les productions régionales), mais beaucoup d'intelligence, d'astuce et d'imagination. Comme on dit, c'est simple mais il fallait y penser.

Encore du beau travail, bien fait, par des créateurs qui croient à leur art.

Il reste quatre représentations: aujourd'hui (jeudi), vendredi et samedi à 20 heures, et dimanche à 14 heures.

Le Quotidien a parlé du spectacle.

02/03/2011

Pour qui sonne Bungalopolis?

BungalopolisDans la même journée (samedi 26 février) j'ai vu deux opéras de grande qualité, situés aux antipodes (chronologiques et conceptuelles) l'un de l'autre: Iphigénie en Tauride, de Gluck (j'en ai parlé ici), et Bungalopolis, un opéra-cabaret conçu par le compositeur Maxime Goulet et ses complices.

Cette dernière production, présentée au théâtre Palace Arvida par la Société d'art lyrique du Royaume, sort réellement des sentiers battus, ceux de l'opéra, ceux de la musique, ceux du théâtre, dont elle retient cependant certains codes pour pour nous projeter dans l'univers déjanté de la bande dessinée, plus précisément des aventures de Jérôme Bigras, banlieusard moustachu et ventripotent créé par le bédéiste Jean-Paul Eid.

bungalopolis,société d'art lyrique du royaume,maxime goulet,jean-paul eid,jérôme bigrasLe concepteur Maxime Goulet invente une forme d'opéra moderne inspiré par les BD de Jean-Paul Eid (à gauche sur la photo, Maxime Goulet est à droite): le décor est celui d'une banlieue monotone (Bungalopolis) où les préoccupations des personnages touchent le gazon, le facteur, les vidanges, (ça fait penser à la petite vie, non?). Jérôme Bigras et ses voisins vivent des aventures extraordinaires, ils voyagent dans l'espace et dans le temps, ils rencontrent des étrangers, des gens qui leur veulent du mal, mais leur prosaïsme et -disons-le franchement- leur vulgarité désamorcent toute possibilité de véritable narration pour nous ramener à l'univers minimaliste de la banlieue où règne Jérôme Bigras, secondé par... Rex, sa fidèle tondeuse!

La parodie est l'un des ressorts de cette amusante production, comme l'indiquent les titres des 16 courts tableaux qui constituent les trois actes de l'opéra: Rascar Capac, Les aventuriers des objets perdus, Les hommes de matante, Passe-Jérôme tond le gazon, par exemple. Rien de tout ça n'est sérieux: il faut saisir les allusions (fines ou pas fines) et se laisser emporter par ce joyeux mélange d'absurde, de ridicule, de comique.

bungalopolis,société d'art lyrique du royaume,maxime goulet,jean-paul eid,jérôme bigrasComme à l'opéra, les (six) musiciens jouent en direct. Sur la scène, un écran affiche les planches des bandes dessinées (en noir en blanc) et les textes que chantent les quatre interprètes, Ariane Girard, Philippe Martel, Sylvain Paré et Dominique Côté (en ordre sur la photo), tous excellents. La musique, ultra-contemporaine, fascinante et accessible, est l'oeuvre de cinq jeunes compositeurs dynamiques et inventifs. L'un des points forts de l'oeuvre est d'ailleurs ce contraste pétillant entre le livret (vie quotidienne et propos triviaux) et la musique (pointue et audacieuse).

C'est un spectacle de grande qualité, ça bouge et ça déménage, c'est plutôt drôle, bref, on voit que tout le monde y a mis beaucoup de temps, de talent, et d'énergie.

Pour ma part, je me suis bien amusée, j'ai apprécié cet effort concerté d'un grand nombre de créateurs pour faire quelque chose de nouveau et d'éclaté, ce talent déployé dans tous les aspects de ce spectacle original: musique, mise en scène, conception, réalisation technique.

bungalopolis,société d'art lyrique du royaume,maxime goulet,jean-paul eid,jérôme bigrasMais pour le moment du moins, l'oeuvre ne semble pas avoir trouvé son public. Plusieurs des représentations prévues à l'origine ont été annulées, et celles qui ont eu lieu (à Jonquière et à Montréal) n'ont pas attiré les foules attendues. Tous ceux qui se sont déplacés ont adoré le spectacle, semble-t-il.

Mais comment convaincre, et qui convaincre? Pas de nom connu, musique contemporaine, complète nouveauté. Aînés amateurs de grands opéras? banlieusards avec enfants? intellos branchés? amateurs de jazz? artistes allumés? jeunes désargentés?

Difficile d'identifier le public-cible de Bungalopolis, véritable attracteur étrange qui tente de faire son chemin dans le monde déjà surpeuplé de l'offre de spectacle. Il faudrait une promotion tous azimuts, sur divers supports, qui titillerait la curiosité, des extraits, des critiques dans les grands médias... Difficile tout ça... et très cher.

Situation paradoxale puisque Bungalopolis possède au fond toutes les caractéristiques qui pourraient lui permettre de devenir une oeuvre-culte. Mais pour qu'elle le devienne vraiment, il faut qu'elle soit largement diffusée et connue. Un éventuel DVD trouvera peut-être son public plus facilement que le spectacle lui-même: je le leur souhaite, car tous ces gens débordent de talent et méritent attention et appréciation.