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22/05/2014

Réels ou virtuels?

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Le monde est un vaste théâtre et nous en sommes tous les acteurs

J'ai récemment photographié cette citation de Shakespeare (dans Comme il vous plaira), inscrite sur un mur extérieur du Théâtre du Nouveau Monde, à Montréal.

Sans doute pour des fins de concision, la traduction en français de ce texte a été quelque peu modifiée par rapport à celle qui est la plus connue:

Le monde entier est une vaste scène de théâtre,
Et tous les hommes et les femmes en sont les acteurs.


(
Ils ont leurs entrées sur scène et leurs sorties de la scène,
Et un homme joue durant la vie de nombreuses pièces).

Je me pose parfois cette question: tout n'est-il qu'illusion? Sommes nous des êtres réels? Ne serions-nous pas plutôt des personnages posés dans un décor, scrutés, étudiés et examinés par d'autres entités pour lesquelles nous serions des cobayes?tnm,shakespeare,montréal,illusion,simulacron 3,daniel f.galouye

En tout cas je me la pose depuis que j'ai lu, il y a une trentaine d'années, Simulacron 3, de Daniel F. Galouye.  À la faveur de quelques indices, un personnage découvre que tout son monde est une copie, une maquette conçue par les savants du monde véritable afin de faire des simulations.

Et peut-être qu'il y a un autre monde au dessus des deux premiers, et puis encore un autre, et ainsi de suite comme dans une spirale sans fin, une enfilade de poupées russes contenues les unes dans les autres de la plus grande à la plus petite...

C'est un thème récurrent de la science-fiction, qui  nous invite à réfléchir sur le réel et l'illusoire. Bien sûr je ne crois pas vraiment que notre monde est virtuel, mais parfois je suis saisie d'un vertige: illusion que tout cela???

18/01/2014

Musique, théâtre, convergences...

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Deux événements convergèrent durant la période des Fêtes pour ranimer dans ma mémoire les images d'une femme et d'un téléroman.

Tout d'abord, un cadeau offert par mon fils: le plus récent disque de la harpiste Valérie Milot et des Violons du Roy. Ils jouent trois concertos pour harpe, notamment celui de François-Adrien Boieldieu.

Un très court passage du 2e mouvement servait de thème à l'un des premiers téléromans que j'ai écoutés, Septième nord.

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La vedette en était la comédienne Monique Miller, l'action se déroulait dans un hôpital, et comme toute série médicale qui se respecte, elle mettait en scène des médecins et des infirmières, des histoires d'amour, de jalousie, de coucheries et de tromperies. Tout ça me fascinait et me troublait car à, l'âge que j'avais (16 ans), comme la plupart des filles et même des garçons de mon âge, je n'étais pas très délurée côté sexe.

septième nord,catherine bégin,boieldieu,valérie milot,violons du roy,christine,la reine-garçon,lawrence anyways,téléromanComme j'aimais beaucoup ce thème musical (vous pouvez l'écouter en cliquant ci-contre sur la photo de Monique Miller), j'ai acheté le disque pour écouter en entier l'oeuvre de Boieldieu, ce que j'ai fait beaucoup, beaucoup... puis j'ai écouté autre chose. En l'entendant à nouveau, 50 ans plus tard, je me suis rendu compte à quel point cette pièce, qui serait complètement tombée dans l'oubli sans Septième nord, est belle et élégante.

L'événement bien triste qui est venu s'y juxtaposer, c'est le décès de la comédienne Catherine Bégin, survenu le 29 décembre dernier. On a mentionné alors qu'elle avait joué le rôle de Renée Daigneault dans Septième nord. Je ne me souviens plus très bien de son personnage, pas plus que des autres... Et je l'ai ensuite vue régulièrement dans plusieurs autres téléromans, (liste complète de ses rôles à la télé, au cinéma et au théatre).

En apprenant son décès, j'ai réalisé que je l'avais vue à deux reprises, très récemment: dans le film Laurence Anyways, de Xavier Dolan: je n'ai pas beaucoup aimé le film, mais sa prestation à elle en vieille tenancière de bordel était très juste.

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Et surtout il y a moins d'un an, j'ai vu et admiré Catherine Bégin sur la scène du théâtre Banque Nationale, dans la pièce Christine, la reine-garçon, de Michel Marc Bouchard: elle y jouait l'insupportable reine-mère (photo ci-dessous): un petit rôle où elle excellait, comme tous les acteurs de cette géniale production, dont j'ai parlé ici.

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C'est en écoutant le concerto pour harpe de Boieldieu que j'ai salué le départ discret de cette grande dame du théâtre.

07/11/2013

Camus et les hommes

ALbert Camus, l'Étranger, Nice, théâtre de la ville, 100 ans

Albert Camus est né le 7 novembre 1913: il aurait donc aujourd'hui 100 ans.

Bien sûr j'ai lu La Peste et L'Étranger pendant mes études universitaires. Des romans extraordinaires. Puis j'ai lu autre chose et je n'y ai plus pensé souvent, sauf à la faveur d'un article dans un magazine, d'un reportage à la télé, d'un exemplaire aperçu en librairie.

Ou d'un anniversaire, comme aujourd'hui, qui me ramène à mon séjour à Nice en 2003. Un soir je suis allée au Théâtre de la Cité pour voir L'Étranger, adapté par le fondateur et alors directeur de ce théâtre niçois Meyer Cohen, né au Maroc.

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Une production modeste, comme l'étaient les moyens de cette troupe et de ce théâtre, et néanmoins intéressante et prenante. La salle n'était pas grande, ni pleine. Il y a eu discussion avec le metteur en scène et les comédiens après la représentation. Des artisans du théâtre qui prenaient leur métier au sérieux et le faisaient bien, loin des feux médiatiques. La pièce était bien jouée, dans le respect du texte et de l'esprit de ce roman qui commence par ces mots:


Aujourd'hui maman est morte.



albert camus,théâtre de la cité,l'Étranger,meyer cohen, billets de concert,2003

 

 

(L'Étranger est à mon avis le meilleur roman d'Albert  Camus. Il a été classé au premier rang des 100 meilleurs livres du XXe siècle, selon Le Monde et la FNAC).

 

 

 

 

 

 En ce soir d'avril 2003 à Nice, quelle émotion d'entendre ces mots, dits par le narrateur Meursault, qui raconte comment il a tué un homme sans véritable raison:

 Alors, j'ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les  balles s'enfonçaient sans qu'il y parût. Et c'était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur.


    ...tandis que la bande sonore faisait entendre le motif initial de la cinquième symphonie de Beethoven: quatre notes que le compositeur désignait lui-même comme le thème du destin.

Ce fut l'un des beaux moments de ma vie culturelle et personnelle.

Note: J'ai eu tort de délaisser Camus. Je devrais le relire sans cesse. Entre autres (mais pas seulement) pour ses constats lucides et désespérés, tout à fait d'actualité, comme ceux-ci:

      Celui qui désespère des événements est un lâche, mais celui qui espère en la condition humaine est un fou. (Carnets)

      Gouverner, c'est voler, tout le monde sait ça. (Caligula)

      La société politique contemporaine: une machine à désespérer les hommes. (Actuelles)

22/02/2013

Michel Marc, Christine et le théâtre

Reprise ces jours-ci à Montréal (chez Duceppe) de la pièce Les Muses orphelines, de Michel Marc Bouchard. Je ne sais pas si je l'ai vue lors de sa création en 1988, mais j'y ai certainement assisté en 1995 à Chicoutimi, dans la mise en scène de René-Richard Cyr (pour lire le texte que j'avais alors écrit, cliquez ici). J'ai vu aussi le film réalisé par Robert Favreau, de même qu'une demi-douzaine de mises en scène des pièces de Michel Marc Bouchard, y compris L'Histoire de l'oie, Les Feluettes (par La Rubrique à Jonquière) et Les grandes chaleurs (en théâtre d'été à la Pulperie).

 

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J'ai bien sûr rencontré et interviewé l'auteur, né à Saint-Coeur-de-Marie au Lac-Saint-Jean, à plusieurs reprises. C'est quelqu'un de bien, un créateur que j'admire et apprécie, autant pour son oeuvre (traduite en plusieurs langues et jouée partout dans le monde) que pour son attitude, sa personnalité. C'est un homme qui a vécu, qui comprend les êtres et les choses. Cultivé et intelligent, il défend ses idées, s'exprime clairement tout en demeurant simple et accessible.

Je prends prétexte de son retour dans l'actualité (on l'a vu récemment à Tout le monde en parle) pour parler de sa pièce la plus récente, Christine, la reine-garçon (photo ci-dessus), que j'ai pu voir en janvier lors de ma première visite au Théâtre Banque Nationale (l'auditorium Dufour rénové).

C'est une oeuvre très forte, peut-être un peu plus intellectuelle, moins axée sur l'émotion que les précédentes, mais qui bouleverse et dérange aussi à sa façon. En ayant l'air de raconter l'histoire d'un personnage éloigné dans le temps et dans l'espace, celle de la reine Christine de Suède, qui a régné (et abdiqué) au 17e siècle, il nous parle de nous, Québécois, de notre pays, de son anti-intellectualisme ambiant, des rêves et aspirations qui ont disparu:

"...les frontières sont faites pour êtes flouées, les étiquettes arrachées, les pulsions profondes assouvies, le spectateur devenant captif d’une toile adroitement tissée, qui le renvoie non pas à une page historique oubliée, mais à une réalité qui le rejoint, de façon presque viscérale. La Suède d’alors et le Québec d’aujourd’hui finissent par se fondre en un même lieu parallèle, qui suscite la réflexion: pays de neige dirigé par une femme qui tente de combattre l’apathie des hommes, en questionnement perpétuel, vendant ses richesses au plus offrant, refusant qu’une culture forte lui serve de dénominateur commun…" (REVUE JEU, 3 décembre 2012)

La pièce m'intéressait également parce que j'avais vu, quelques mois plus tôt, un documentaire sur la vie de Christine de Suède présenté par TV5 dans le cadre de la série Secrets d'histoire (vous pouvez l'écouter en cliquant sur ce lien).

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Michel Marc Bouchard est servi par la mise en scène discrète et efficace de Serge Denoncourt, et par une formidable équipe de comédiens. Céline Bonnier (que l'on peut voir en cliquant l'image ci-dessus), excelle à montrer les tourments de cette âme à la fois sensible et forte, de cette femme qui aimait les femmes à une période et dans un milieu où ce n'était guère permis, de cette reine qui, entre le devoir et l'amour, choisissait toujours ce dernier (du moins c'est la vision qu'en offre le dramaturge), qui n'a pas craint de heurter de plein fouet le clergé tout-puissant lorsqu'elle s'installa à Rome.

Elle est entourée notamment par Catherine Bégin, David Boutin, Jean-François Casabone, Robert Lalonde.

J'avais gagné deux billets en participant au tirage organisé par Diffusion Saguenay pour les quatre premiers spectacles présentés dans la nouvelle salle. Et j'ai vraiment beaucoup aimé ma soirée.

 

25/01/2013

Une salle, une reine

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(Les anciennes affiches. Photo Michel Tremblay, Le Quotidien)

 

Samedi dernier, je suis allée voir Christine, la reine-garçon, la pièce de Michel-Marc Bouchard au Théâtre Banque Nationale, qui est en fait l'auditorium Dufour, rénové au coût de 14 millions de dollars, après quatre ans de fermeture.

Curieuse de voir cette nouvelle salle et aussi de cette proposition théâtrale, je m'étais inscrite au tirage de Diffusion Saguenay pour les premiers spectacles qui y étaient présentés, et j'ai gagné deux billets pour la pièce.

Je n'ai pas pu tout observer en détail, mais voici mes premières impressions.

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(Photo Michel Tremblay, Le Quotidien)

 

Nous avions des sièges dans la rangée Q, la dernière du parterre. Le son était assez bon mais il fallait tendre l'oreille et demeurer concentré pour bien entendre la voix des -excellents- comédiens et tous les détails du -très beau- texte de MMB. (J'en reparlerai peut-être dans un prochain billet).

Tout en offrant un aspect fort différent, plus moderne, la salle conserve un peu de l'atmosphère de l'ancien auditorium, à cause des affiches de spectacles qui y furent présentés (photo du haut), et de ses aires de circulation... circulaires.

Beaucoup de rouge et de verre, c'est agréable à l'oeil.

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(Photo Michel Tremblay, Le Quotidien)

 

La dernière rangée du parterre n'est pas idéale, car il y fait très chaud, et on est tout de même assez loin de la scène. Nous avions ce soir-là directement dans les yeux la lumière aveuglante des projecteurs qui éclairent la salle entre les moments de jeu. Toutefois cette rangée a l'avantage d'offrir, à l'arrière des sièges, un espace supplémentaire où on peut poser des affaires. Attention cependant de ne pas les oublier!!! Quant au rideau rouge qui tient lieu de mur du fond, il m'a semblé un peu étrange.

J'aime moins le plancher des gradins en béton (ou un amalgame de ce genre): il semble bien dur et froid, contrairement au fini en bois blond des sièges et des murs. Les sièges sont larges, assez confortables, et surtout, situés dans un espace généreux: une personne peut passer devant une rangée de spectateurs sans qu'ils aient besoin de se lever. Et c'est fort bien, car il n'y a pas d'escalier au centre pour passer d'une rangée à l'autre.

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En revanche, il y a des toilettes pour chaque foyer, donc pas de ruée (bizarrement, pour y accéder, on traverse un espace du Cégep de Chicoutimi...)

En somme, pour une première visite, j'ai assez aimé, malgré quelques irritants. Je vais certainement y retourner.

Je déteste le nom de Théâtre Banque Nationale, donné pour des raisons bassement mercantiles: c'est un théâtre, pas une banque! Je ne tiens pas non plus à celui d'auditorium Dufour, car je ne suis pas sûre que  Mgr Wilbrod Dufour ait tant fait pour la culture au Saguenay, et il y a déjà le pavillon Wilbrod-Dufour à Alma. J'aurais préféré Théâtre de Saguenay...

24/11/2012

Aimer les Belles-Soeurs ?

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Une discussion entre amis après la représentation de Belles-Soeurs (coup de chapeau -un autre!- à La Rubrique qui nous a offert ce superbe théâtre musical), dimanche dernier à la salle Pierrette-Gaudreault de Jonquière (quatre soirs à guichet fermé).

Pour certains, ces femmes sont antipathiques, détestables même. Michel Tremblay aurait au fond créé ces personnages pour que nous puissions les mépriser et par conséquent, nous réjouir de ne pas être comme elles.

Les autres, dont je fais partie, les ont aimées d'emblée et jusqu'à la fin, confondant peut-être dans une certaine mesure les personnages avec les magnifiques comédiennes qui les incarnent, comédiennes que nous aimons, bien sûr. Sans aller jusqu'à dire que je voudrais être comme elles, j'ai ressenti une parenté avec ces femmes, qui, pendant deux heures, vivent, chantent, nous font rire et pleurer, dévoilent leurs frustrations et leur misère, se déchirent pour un million de timbres pinky. Je suis l'héritière de ces belles-soeurs, comme femme, comme Québécoise (même si je suis née dans une famille bourgeoise).belles-soeurs,daniel bélanger,marie-thérèse fortin,sonia vachon,rené-richard cyr,salle pierrette-gaudreault,la rubrique

Et comme être humain aussi. Qui n'a pas ressenti un pincement de jalousie envers une personne, même amie ou parente proche, qui gagne le gros lot? La bienséance nous empêche de montrer cette jalousie. Nous devons faire semblant de nous réjouir pour l'autre, mais au fond, que ressentons-nous vraiment?

En 1968, lors de la création de la pièce, la langue québécoise (appelée joual) que parlaient les personnages de Michel Tremblay fut le grand sujet de discussion. Scandale pour les uns, exploit nécessaire pour les autres, la controverse n'est pas vraiment terminée. Cependant, le joual sur scène n'étonne plus guère.

Ce qui frappe aujourd'hui, c'est la position résolument féministe de Michel Tremblay, dans cette pièce et dans plusieurs de ses autres oeuvres: en montrant leur aliénation, il prend la défense de ces femmes, privées de toute liberté morale par des règles qui leur échappent. Seule Pierrette a osé sortir de ces sentiers battus par les curés et autres notables, ce qui lui vaut le rejet, le mépris et l'opprobe de sa famille.

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Ceci dit, le spectacle est formidable et la transposition (ou la re-création ont dit certains) du théâtre à la comédie musicale est une réussite totale. Grâce entre autres à toutes ces comédiennes, Marie-Thérèse Fortin, Sonia Vachon, Maude Guérin, Kathleen Fortin, Janine Sutto (elles sont 19 au total) et à leurs complices, les musiciens sur scène. La vivante mise en scène de René-Richard Cyr éclaire sans aucun temps mort les deux versants de l'oeuvre, comique et tragique, et la progression inéluctable de l'un vers l'autre.

En adaptant le texte de Michel Tremblay pour cette production du Théâtre d'Aujourd'hui, René-Richard Cyr a préservé la saveur et la richesse de cette langue, tout en lui donnant un rythme et des accents avec lesquels la musique de Daniel Bélanger s'amalgame à la perfection. Il faut entendre en particulier La noce, qui raconte un mariage en énumérant simplement les noms et prénoms des invités. Et aussi Criss de Johnny, mon vendeur de brosses, L'ode au bingo, Les clubs c'est l'enfer, de véritables petits bijoux sonores.

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Lire aussi:

Le point de vue de Joël Martel dans Le Quotidien

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23/09/2012

D'autres nous-mêmes

Festival international de la marionnette, Saguenay, Jordi Bertran, marionnette

Dernier jour du Festival international des arts de la marionnette à Saguenay. Un très bel événement, que je fréquente régulièrement depuis ses débuts il y a une vingtaine d'années. J'ai vu cinq des quelque vingt spectacles du programme régulier de cette édition 2012.

Comme tant d'autres, je suis attirée et fascinée par les marionnettes, ces humains miniatures créés et manipulés par des humains.

J'admire ces artistes qui font accomplir à leurs créatures (sosies ou projections d'eux-mêmes) des gestes qui ressemblent à ceux que posent les "vrais" humains. Quand, grâce à leur habileté et à leur ingéniosité, ils  leur donnent des attitudes qui évoquent les nôtres. Quand ils les font courir, danser, rire, fuir, montrer de la peur ou de la colère. Lever le petit doigt, hausser les épaules, baisser la tête: quelle merveille que des êtres en principe inanimés puissent agir ainsi, comme nous. Nous nous projetons en eux, c'est inévitable.

L'attrait vient aussi sans doute de ce parfum d'enfance qui se dégage de toutes ces prestations. On se revoit, avec nos poupées, nos peluches, nos Barbie, nos super-héros en plastique, que nous avons manipulés en leur prêtant des sentiments et des intentions, en imaginant qu'ils nous donnaient la réplique, qu'ils nous obéissaient ou nous désobéissaient: nous leur donnions une âme, comme le font depuis des siècles les marionnettistes.

Festival international de la marionnette, Saguenay, Jordi Bertran, marionnette

À cet égard, les plus belles manipulations que j'ai vues cette fois étaient de trois types. Les marionnettes à gaine du Chinois Yeung Faï, (photo ci-dessus)avec son spectacle Hand Stories. Ses personnages sont de véritables oeuvres d'art, finement détaillées, qu'il fait bouger avec subtilité et réalisme.

Les marionnettes à fils du très habile Catalan Jordi Bertran (Le sens des fils) étaient aussi très intéressantes. Édith Piaf, Charlot, Ophélie, un rocker et quelques autres dansent, courent, chantent, se déplacent et vivent grâce à un imposant réseau de fils dont certains ne font bouger qu'un seul doigt. (Cliquez sur l'image du haut pour voir le numéro avec Charlot).

Et enfin le théâtre d'objets (inspiré des marionnettes à tige) du Français Christian Carrignon, qui nous offre son délicieux Théâtre de cuisine. Accroupi sous une petite table, il fait évoluer ses minuscules personnages (bouchons de liège coiffés de capsules, papillottes, pièces de monnaie), au bout de tiges qu'il fait glisser dans des fentes.

Dans les trois cas, on y croit et on s'émerveille de tant de précision et de créativité.

Mais je continue à me demander pourquoi des adultes, en principe des gens sérieux, consacrent toute leur vie à la création et à l'animation de marionnettes, à la seule fin de divertir petits et grands (c'est aussi pour gagner leur vie, mais il y a d'autres façons de le faire, moins compliquées et moins risquées).

Cela pose en fait toute la question de la nature du divertissement, du spectacle. Question à laquelle diverses réponses ont été données par nombre de philosophes et d'artistes...

10/02/2012

Formidables Brigands d'opérette

brigandsGroupe.jpg

Pour son 40e anniversaire, l'opérette au Saguenay retrouve son lustre et renoue avec la tradition des grandes productions, comme j'ai pu le voir jeudi à la salle François-Brassard.

Les Brigands, opéra-bouffe de Jacques Offenbach, c'est un grand coup frappé à la porte d'un destin qui semblait inquiétant ces dernières années. Un coup de pied salutaire et joyeux, qui bouscule tout et revient à la base, celle qui a assuré le succès et la vitalité de l'entreprise.

Cette base c'est d'abord du monde, beaucoup de monde: la Société d'art lyrique du Royaume a su réunir les meilleurs éléments, sur scène, dans la fosse et en coulisses. Des gens allumés, concentrés, manifestement contents d'être là. Des artistes, interprètes, concepteurs, techniciens compétents, brillants, aux carrières diverses, auxquels s'intègrent harmonieusement des amateurs expérimentés.

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Résultat: un spectacle formidable et enlevant, parsemé de scènes burlesques, de  rebondissements et de surprises, et surtout musicalement très agréable à écouter.

Le directeur musical Jean-Philippe Tremblay accomplit un travail colossal pour animer et maintenir le rythme et la cohérence de chaque section vocale et instrumentale. Il dirige de main de maître et fait sonner à merveille les 19 musiciens de l'Orchestre symphonique: c'est un peu malheureux que ceux-ci demeurent invisibles pour le public, perdus dans les profondeurs abyssales de la fosse, mais au moins il y en a une!. Il y a eu quelques flottements en ce soir de première, mais rien pour nous faire décrocher de ces belles sonorités, de ces rythmes enlevants, de cette remarquble harmonie entre un nombre considérable d'éléments.

L'oeuvre requiert une énorme distribution, six rôles principaux et plusieurs rôles secondaires (dont quelques-uns parlés) tout aussi importants, de même qu'un choeur consistant dont le travail est primordial.

Tous ces postes sont comblés de façon exemplaire: le talent foisonne, tous les chanteurs-acteurs sont excellents. Marie-Ève Munger, brillante et efficace Fiorella, nous éblouit encore une fois avec ses exploits vocaux. Éric Thériault offre un impeccable Falsacappa, le chef un peu enveloppé des brigands. Pascale Beaudin excelle dans le rôle masculin du jeune Fragoletto, et Patrick Mallette, un fidèle des productions de la SALR, se livre à d'amusantes pitreries tout en nous charmant avec sa belle voix de baryton.les brigands,opérette,jacques offenbach,marie-Ève munger,Éric thériault,salr' société d'art lyrique du royaume

Des vedettes de l'art lyrique acceptent humblement des  rôles assez brefs, comme la basse Joseph Rouleau, 82 ans,  qui s'amuse comme un petit fou en chef des carabiniers, et la mezzo-soprano Renée Lapointe qui incarne avec grâce la princesse de Grenade.

Je renonce à les nommer tous, mais ils le mériteraient.

Éric Chalifour impressionne une fois de plus par sa mise en scène originale, truffée de détails et de clins d'oeil amusants, assurant un déroulement rythmé et logique à cette folle histoire. Décors (Mylène Leboeuf-Gagné), costumes (Jacynthe Dallaire s'y surpasse) et comportement des personnages combinent les saveurs et couleurs du Far West américain à celles de la corrida espagnole. Le récit est maintenu dans son contexte géographique et historique, quelque part au 19e siècle, entre Italie et Espagne, mais l'adaptation (Martin Giguère et toute l'équipe) inclut de savoureux anachronismes (téléphone, moto, auto: quelques années trop tôt), et de fines allusions à la modernité et à l'actualité ("engagez-vous, qu'ils disaient") qui produisent leur effet... comique!

Le sujet: une bande de brigands veut s'emparer d'une dot de 3 millions destinée à une princesse espagnole par son futur époux italien, le Duc de Mantoue. Le tout traité à la manière d'Offenbach (et de son librettiste Ludovic Halévy): complot, déguisements, revirements, confusion, quiproquos, initiés par les deux moteurs de l'activité humaine, l'amour et l'argent et illustrés par des scènes enlevées où le burlesque le dispute au mot d'esprit.

Les meillleurs moments, selon moi:

l'air des bottes: magnifique

le solo du caissier, joué et chanté par Christian Ouellet: irrésistible

l'entrée en scène des carabiniers (aussi incompétents que les Gendarmes de St-Tropez) derrière leur chef, Joseph Rouleau, qui roule à moto.

le can-can des poulets (plumés) chanté par les trois bandits déguisés en marmitons: burlesque à souhait

et tous les solos de Marie-Ève Munger.

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Malgré la longueur réelle de la prestation (près de trois heures), le temps passe vite et on ne s'ennuie pas une minute.

Le public était très nombreux en ce soir de première, où on a rendu hommage au fondateur de l'opérette Guy Dion, et aux six (ou sept?) membres de la famille Laprise qui y ont oeuvré et y oeuvrent encore. Le doyen (et papa) de ces derniers, Normand Laprise, a dirigé l'orchestre de l'opérette pendant plusieurs années. Notamment en 1992, alors que l'on présentait Les Brigands à l'auditorium Dufour. Madeleine Gauthier, actuellement vice-présidente du CA, signait la mise en scène. Et c'est le baryton Jean-François Lapointe (songera-t-on à lui rendre hommage?) qui incarnait alors Falsacappa.

Il reste deux représentations: ce soir (vendredi 10 février), et demain à la salle François-Brassard, à 19h30. Si vous voulez vous amuser, entendre de la belle musique et voir à l'oeuvre des artistes de grand talent, courez-y.

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Autre(s) point(s) de vue:

Christophe Huss, dans Le Devoir

15/11/2011

Les Têtes heureuses chez Feydeau: réjouissant!

L'Hôtel du libre-échange, de Georges Feydeau

Mise en scène: Rodrigue Villeneuve

Comédiens: Martin Giguère, Sophie Larouche, Christian Ouellet, Lucille Perron, Mélanie Potvin, Éric Renald, Patrick Simard

Au Petit théâtre (UQAC), du 27 octobre au 13 novembre 2011

Représentation du dimanche 6 novembre

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Une réjouissante incursion des Têtes heureuses dans un genre où on ne les attendait pas: le  vaudeville. Non pas parce que c'est comique, car la compagnie sait y faire dans le genre (avec Ubu-Roi, par exemple), mais parce qu'il s'agit d'un vaudeville pur sucre, rigolo et grinçant.

Des personnages sans envergure, mesquins et égoïstes, un texte à la mécanique implacable dont il faut respecter le rythme et les subtilités, une histoire bien serrée (mensonge, tricherie, adultère -jamais consommé!) mais pas vraiment vraisemblable, supposée contenir en elle-même des effets comiques dévastateurs pour le genre humain.

Le metteur en scène Rodrigue Villeneuve aborde ce genre comme il le fait pour le drame et la tragédie: avec le même respect, par un travail approfondi sur le texte et sur le jeu des comédiens (paroles, gestes, interaction).

Il les dirige fort bien, ces comédiens, afin qu'ils nous servent avec élégance ce texte logorrhéique et ces répliques ciselées, tout en naviguant avec précision dans les rouages et les engrenages de cette histoire à rebondissements. Même si ce n'est pas vraiment leur univers, ils s'en tirent fort bien.

Le deuxième acte, où l'on voit ce qui se passe dans ce miteux hôtel du libre-échange (que l'on pourrait rebaptiser "hôtel du quiproquo"), est très comique, bien rythmé et rondement mené. Le premier acte souffre de quelques longueurs (c'est la faute à Feydeau) et le dernier attache à la va-vite les ficelles qui pendent un peu partout (c'est aussi la faute à Feydeau).

La scénographie dépouillée oblige -et aide- le spectateur à imaginer des portes et des murs qui n'y sont pas du tout, seulement découpés par des éclairages et quelques accessoires. C'est limite, mais ça fonctionne.

J'en ai gardé le souvenir d'un dimanche après-midi où j'ai beaucoup ri.

29/09/2011

Gaston Talbot démultiplié

Dragonfly of Chicoutimi, Larry Tremblay, Claude Poissant, La Rubrique, PaP théâtre, théâtre, Jonquière, Gaston TalbotJ'ai trop aimé, je crois, la première version que j'ai vue de la pièce de Larry Tremblay The Dragonfly of Chicoutimi.

C'était en 1999, au Petit Théâtre (de l'Université du Québec à Chicoutimi), qui ne s'appelait pas encore ainsi: le Dragonfly était le premier spectacle joué dans cette salle récemment construite. Pièce magistrale, interprétation tout aussi magistrale du comédien Jean-Louis Millette, qui est mort une semaine après ce passage remarqué à Chicoutimi.

Pour moi: souvenir marquant, histoire exceptionnelle, textes dans Le Quotidien:

Ma critique de la pièce
La réaction de l'équipe au décès du comédien
Mon interview avec Larry Tremblay quelques années auparavant, au moment de la publication de sa pièce

Dans la mise en scène de Claude Poissant pour le Théâtre PàP, présentée à Jonquière mardi dernier, cinq comédiens incarnent Gaston Talbot. Ce n'est plus une voix unique, mais un choeur à voix multiples. Chaque choriste endosse un moment ou une facette de cet homme qui raconte son histoire au public, en anglais. Histoire à tiroirs qui passe du rêve à la réalité en bousculant la chronologie, figure démultipliée par ces cinq comédiens qui se tiennent dans des cubicules. À la fois isolés et inséparables.

Lecture pertinente, intéressante, éclairante même par moments pour ce texte fort et percutant.

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J'ai aimé ce que j'ai vu et entendu, tout en regrettant la diction impeccable de Jean-Louis Millette qui donnait à cet anglais une préciosité toute française, démontrant en réalité qu'il ne parlait ni anglais ni français, mais une langue propre à cette oeuvre, la création, l'invention  d'un langage étant un thème récurrent chez Larry Tremblay. Avec cinq interprètes, plus les effets sonores, c'était moins clair, de sorte que j'ai perdu je crois le passage le plus important (je ne l'ai pas entendu), et j'en ai éprouvé de la frustration.

Mon souvenir m'aveugle, peut-être, mais ce n'est pas grave.

Car rien n'est sacré et cette reprise possède ses qualités. D'autant plus bienvenue qu'elle contribue à la diffusion de cette oeuvre très forte d'un auteur d'ici qu'est The Dragonfly of Chicoutimi. L'an dernier, La Rubrique avait présenté dans la même salle, par la même compagnie et le même metteur en scène, une autre pièce de Larry Tremblay: l'extraordinaire Abraham Lincoln va au théâtre.

Mardi à la salle Pierrette-Gaudreault, les gens riaient aux éclats, du moins au début de la représentation. Voulaient-ils démontrer qu'ils comprenaient l'anglais, ou croyaient-ils avoir affaire à un spectacle d'humour? Je ne sais pas. Il y a certes de l'ironie et quelques effets comiques, mais c'est un drame et il n'y a pas de quoi s'esclaffer.

Autre opinion sur cette mouture du Dragonfly:

Dario Larouche sur son blogue