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18/02/2013

Rigoletto à Las Vegas: joue, perd... et gagne

Je savais pour La donna è mobile, mais j'avais oublié que Caro nome, un des plus beaux airs d'opéra que je connaisse, était aussi dans le Rigoletto de Verdi. J'ai été vraiment ravie de le réentendre, chanté cette fois par l'excellente soprano Diana Damro (cliquez l'image pour l'entendre en répétition) au cinéma Jonquière, qui retransmettait samedi cette nouvelle production du Metropolitan Opera.

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Nouvelle production? Oh que oui! L'action est située dans le Las Vegas des années 60, univers dépravé, où jeu, sexe, argent, Rat Pack et autres néons rivalisent de quétainerie. C'est peu de dire que le pari était risqué, et il n'est à mon avis pas tout à fait gagné.

Le metteur en scène Michael Mayer, qui travaille pour la première fois au Met, donne à ce Rigoletto les couleurs et les accents de la comédie musicale, genre dont il est spécialiste, dans le but sans doute de rendre accessible à l'Américain moyen cette histoire censée se passer en Italie au 16e siècle, et inspirée à Verdi et à son librettiste par la pièce Le Roi s'amuse de Victor Hugo.

Ce qui donne lieu à quelques incohérences, incongruités, anachronismes. Par exemple: pourquoi tenir à la virginité d'une jeune fille dans ce milieu corrompu? Pourquoi croire à la malédiction lancée par un sheik arabe ridicule tout droit sorti d'Hollywood? Et ces ascenseurs, c'est quoi l'idée?rigoletto,diana damray,piotr beczala,zeliko lucic,verdi,las vegas,casino

Par ailleurs, les sous-titres anglais, remaniés et assaisonnés d'expressions américaines typiques de l'époque (une femme est appelée "baby" ou "doll"), s'éloignent dangereusement du texte original en italien. Au lieu du cortigiani, vil razza dannata que l'on peut traduire en français par courtisans, race vile et damnée, et en anglais par courtiers, vile, damnable rabble, Rigoletto traite ses bourreaux de pack of rotten rats (gang de rats pourris) selon les sous-titres, allusion au rat pack, bien sûr.

La scénographie et l'aspect visuel, les néons, les tables de jeu, les costumes, plumes et froufrous,  les figures qui rappellent Dean Martin, Frank Sinatra, Marilyn Monroe, sont par contre intéressants et dynamiques. Sauf l'horrible robe bleue dont est affublée Gilda...

Un premier acte en dents de scie, en gains et pertes, et vocalement imparfait, histoire de se plonger dans l'histoire, un deuxième acte encore hésitant mais agrémenté par l'excellent choeur des hommes qui s'opposent à Rigoletto.

Et enfin le troisième acte, presque totalement réussi, peut-être parce qu'on s'est peu à peu habitué au contexte.

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Mais aussi parce que le chant prend toute sa place et nous éblouit. Les deux partenaires de Diana Damreau (Gilda), formidable depuis le début, semblent plus à l'aise vocalement et s'expriment enfin pleinement. Le ténor Piotr Beczala qui joue le Duc de Mantoue avec une belle prestance (rappelant à la fois Elvis Presley et Frank Sinatra), envoie très bien la célèbre aria La donna è mobile (même s'il force un peu dans l'aigu), le quatuor (qui succède à une intéressante scène de danse-poteau) est totalement beau, et le baryton serbe Željko Lučić déploie ses ultimes ressources vocales pour exposer de nouvelles facettes de Rigoletto.

De brefs éclairs zèbrent les néons au rythme des rapides arpèges flutés qui annoncent l'orage. Après le drame, c'est dans le coffre arrière d'une immense Cadillac que Gilda mourante fait ses adieux à son père (dans l'opéra original, celui-ci la découvre avec horreur dans un sac de toile où il croyait trouver le corps de son ennemi). Une scène extraordinaire, musicalement, dramatiquement et visuellement. Peut-être moins déchirante qu'elle peut l'être dans les mises en scène classiques, ce qui me convient parfaitement...

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Les puristes détestent, les amateurs de Broadway adorent. Pour ma part, malgré quelques réserves, j'ai plutôt aimé cette production, cette débauche de couleurs et de clinquant,  et surtout la musique (le jeune chef Michele Mariotti a fait très bonne impression) et les voix.

 

Menus détails

- La soprano Diana Damrau ressemble étrangement à la comédienne québécoise Valérie Blais.

- À la fin de l'interview qu'elle accordait à l'hôtesse Renée Fleming, son petit garçon est arrivé en courant, elle l'a pris dans ses bras et lui a fait dire bonjour, en français, aux millions de personnes qui écoutaient cette retransmission. Un bel enfant blond (deux ans environ), c'était tout à fait charmant.

- Sur la vidéo ci-dessus, et sur toutes les photos que j'ai vues de cette production, Madame Damrau porte une robe bleue... qui n'est pas la même que celle que nous avons vue samedi. Cette dernière était à manches longues, à col fermé et en tissu épais. Sans doute que toutes ces images où on la voit vêtue d'une robe également bleue, mais plus décolletée et à manches courtes (question de confort probablement) ont été captés pendant les répétitions. L'une et l'autre robe sont laides, mais celle portée sur scène était particulièrement horrible. Il fallait presque fermer les yeux pour apprécier son Caro nome.

- Il y avait beaucoup de monde pour voir ce Rigoletto samedi. Plusieurs étaient déstabilisés par la transposition, quelques-uns détestaient carrément.

22/01/2013

Jour de reines

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J'ai passé mon samedi avec des reines. Trois reines, pour être plus exacte. Il y en avait deux dans l'opéra Maria Stuarda, de Donizetti, au Metropolitan Opera, transmis par le cinéma Jonquière. Deux reines, deux rivales: Élisabeth 1ère d'Angleterre et Marie Stuart, reine d'Écosse. Cette dernière est confinée à la prison pour le meurtre de son mari. Les deux femmes se livrent une lutte psychologique sans merci, ayant comme enjeux le trône d'Angleterre et l'amour d'un homme

Ce qui mène à une confrontation extraordinaire à la fin du premier acte, où les deux reines se disent les vraies affaires. Marie Première contre Élisabeth Première, légitime contre "batarde", catholique contre anglicane, mezzo contre soprano: un duo mémorable.

La production du Metropolitan vaut surtout par la prestation magistrale, absolument stupéfiante, de Joyce DiDonato, qui incarne Marie Stuart. En deuxième partie, elle aligne trois (ou quatre? je ne sais plus) arias très exigeantes, autant au point de vue du jeu (elle a vieilli de dix ans depuis le premier acte, elle est agitée de tremblements, elle est émue et verse des larmes), que de la prestation vocale où se succèdent trilles, mélismes, aigus sur graves, graves sur aigus. Elle fait tout cela à la perfection, soulevant autant l'admiration que l'émotion du spectateur, qui ne peut que compatir à la douleur de cette reine qui s'en va vers la mort. (Marie Stuart fut décapitée le 8 décembre 1542).

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Je ne sais pas pourquoi le metteur en scène David McVicar a voulu présenter Élisabeth sous une allure aussi incongrue: une sorte de robot qui se déplace sans grâce et semble sur le point de tomber à chaque pas, mais en tout cas c'est bien réalisé par la soprano sud-africaine Elza van den Heever. Elle chante aussi plutôt bien, même si sa prestation est totalement éclipsée par celle de Joyce DiDonato.

Matthew Polenzani est très bien, vocalement et physiquement, dans le rôle un peu difficile de l'indécis Leicester, aimé des deux reines. J'ai aimé le timbre et la technique de Joshua Hopkins dans le rôle de William Cecil mais pas du tout la prestation de la basse Matthew Rose, qui incarne  Talbot, le conseiller de Marie Stuart.

Il y avait beaucoup de monde au cinéma Jonquière, où la projection a encore une fois été affectée par des problèmes de son. On nous promet que ce sera réglé sous peu. Quant à la mise en images en provenance du Met, elle était tout simplement infecte, abusant des gros plans et des contreplongées.

La troisième  reine de mon samedi fut Christine de Suède, sujet de la pièce Christine la reine garçon, de Michel-Marc Bouchard, présentée par le TNM dans la nouvelle salle nommée Théâtre Banque Nationale. J'en parle dans une prochaine note.

07/01/2013

Marathon dans un fauteuil:             Les Troyens!

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(Au centre, Bryan Hymel. À sa droite, Deborah Voigt, et Julie Boulianne. Photo: Ken Howard, Metropolitan Opera)

 

Cinq heures et demie assise au Cinéma Jonquière, pour voir Les Troyens, de Berlioz, en direct du Metropolitan Opera: un vrai marathon. Plutôt bon. Et très long, alors soyons concise(!):

Le ténor Marcello Giordani, a renoncé à chanter le rôle du prince Énée après trois représentations... pour mon plus grand bonheur. Je l'ai déjà écrit ici, je n'aime pas beaucoup le style de ce chanteur, pourtant très souvent engagé au Met.

Mon bonheur fut d'autant plus grand que celui qui l'a remplacé, Bryan Hymel, est formidable. À 33 ans seulement, il se montre à la hauteur d'un des rôles les plus difficiles du répertoire pour ténor. Souplesse et justesse, timbre clair, du volume, du souffle, un contrôle quasi parfait de toutes les intonations. Une véritable révélation pour moi et pour tous ceux qui l'ont entendu.

Autre source de plaisir: un opéra français, chanté en français. La plupart des chanteurs ont une bonne diction, et je comprenais leurs paroles (en m'aidant un peu avec les sous-titres anglais...) Merveilleux!

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Il ya en réalité dans Les Troyens deux opéras en un. Le premier, La prise de Troie, avec la ruse des Grecs qui introduisent dans la cité ce cheval géant où se dissimulent des guerriers, les avertissements de Cassandre, le suicide collectif des Troyennes. Le deuxième, Les Troyens à Carthage: un groupe de Troyens ont réussi à s'enfuir et, en route pour Rome, ils font une longue escale à Carthage, où la reine Didon les accueille et file le parfait amour avec Énée.

Cette oeuvre monumentale est rarement montée, car elle requiert des effectifs énormes (décors, choeurs, deux équipes de chanteurs), ce qui coûte très cher.

Hector Berlioz (qui n'a jamais pu voir l'oeuvre au complet jouée sur scène), a écrit non seulement la musique des Troyens mais aussi le très beau livret, inspiré par L'Énéide de Virgile. Sa musique est ample, complexe, riche, variée, vraiment magnifique. La partie instrumentale, particulièrement élaborée, est bien mise en valeur par le maestro Fabio Luisi et l'orchestre du Met.

Outre Bryan Hymel, Susan Graham (photo ci-contre) assume bien le rôle extrêmement les troyens,metropolitan opera,bryan hymel,susan graham,deborah voigt,fabio luisiexigeant de Didon, reine de Carthage. Presque toujours en scène dans la deuxième partie, elle joue bien et son chant est assez beau, malgré quelques signes de fatigue vers la fin (c'est compréhensible!).

Pour une rare fois, tous les rôles secondaires sont bien chantés, en particulier celui d'Anna, soeur de Didon, où on retrouve l'extraordinaire mezzo Karen Cargill, et celui de Narbal, dans lequel excelle la basse coréenne Kwangchul Youn.

Sans oublier Julie Boulianne, notre Dolmissoise devenue presque une habituée du Metropolitan, qui incarne Ascagne, fils d'Énée. Elle a assez peu à chanter, mais elle le fait très bien, et elle est sur scène assez longtemps pour qu'on puisse apprécier son jeu.

En première partie, Deborah Voigt offre une Cassandre plus intéressante dramatiquement que vocalement. Chanter en français n'est pas sa tasse de thé: "ça fait travailler des muscles que je ne connaissais pas", disait-elle avec humour à Joyce DiDonato pendant l'entracte, ajoutant qu'elle allait ensuite retourner à ses chevaux (ceux de Brunehilde, la Walkyrie de Wagner, autrement dit revenir à sa spécialité: le répertoire allemand!)

J'ai bien aimé la brève prestation de David Crawford, dans le rôle du fantôme d'Hector. Dwayne Croft en Chorèbe était correct, mais sans plus. Quant à la comédienne Jacqueline Antaramian, qui jouait le rôle muet d'Andromaque, on aurait dit Irène Papas, c'était hallucinant. 

Mise en scène intéressante de Francesca Zambello, malgré quelques gestes chorégraphiques ou déplacements superflus. Les ballets sont intéressants et leur musique formidable, mais vraiment très longs quand on se met à penser qu'il faudra ensuite un acte complet pour représenter le départ d'Énée, puis le désespoir et le suicide de Didon. En fait, il ne faut pas penser, ni surtout consulter sa montre: simplement s'abandonner au plaisir d'écouter et de regarder.

Encore quelques problèmes de transmission audio: le son, faible quand les interprètes se tenaient côté jardin devenait clair et fort quand ils se déplaçaient vers le côté cour!

Une soixantaine de personnes ont couru ce marathon avec moi: on n'est plus tout jeunes, mais on est encore en forme, et toujours passionnés... d'opéra.

11/12/2012

Verdi, le bal et l'amour

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Dans Un ballo in maschera de Verdi (transmission en direct du Metropolitan Opera samedi au cinéma Jonquière), le roi de Suède Gustave III aime en secret Amelia, la femme de son secrétaire et ami le comte Anckarström. Quand ce dernier l'apprend, il est fâché et jaloux, bien entendu. Les deux amoureux, tout en avouant qu'ils s'aiment, lui assurent cependant qu'il ne s'est rien passé entre eux.

Blessé mortellement par son ami qui s'est joint à un complot pour se venger, le roi jure à ce dernier qu'Amelia est innocente, sans tache, et qu'il était sur le point de les envoyer tous deux à l'étranger, afin d'éloigner de lui la tentation.

En apprenant cela, le comte regrette son geste.

L'innocence, c'est donc de ne pas coucher, et non pas de ne pas aimer. Aimer est pardonnable, coucher ne l'est point.

Logiquement, on pourrait croire qu'aimer une autre personne que son conjoint est la pire offense. Mais nous les humains, ne sommes pas toujours logiques, surtout quand les sentiments et la passion sont en jeu.

Enfin, je n'ai pas de solution ni d'idée tranchée à ce sujet, je me dis simplement que l'amour, le sentiment, semble à nos yeux moins fort que le geste, alors que peut-être il n'en est rien. 

Mais qu'est-ce que l'amour?

J'ai cru le voir quand, avant la projection, la caméra a suivi pendant quelques instants, une dame corpulente aux cheveux blancs qui prenait place dans la salle du Metropolitan Opera: elle portait un cathéter nasal, vous savez, ces tubes de plastique qui fournissent de l'oxygène aux personnes atteintes d'insuffisance respiratoire.

Se déplacer pour aller à l'Opéra, s'asseoir au milieu de la foule, rester là trois ou quatre heures, malgré une condition physique pénible qui s'ajoute à l'inconfort inhérent à ce genre d'activité: ça c'est de l'amour, me suis-je dit. L'amour de l'art, de la musique, de cette oeuvre de Verdi, je ne sais pas. Mais l'amour, tout de même.

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Et l'opéra? me demanderez-vous.

J'avoue que je ne sais pas trop quoi en dire. En tout cas ce n'était pas le grand amour de ma part. Je n'ai pas aimé le ténor Marcelo Alvarez en Gustave III: il force sa voix, qui ne sort pas vraiment. Sondra Radvanovsky (Amelia) chante très bien, mais elle semble n'avoir qu'une seule expression à mettre sur son visage. Le baryton Dmitri Hvorostovsky (le comte) est formidable, vocalement surtout. La meilleure, c'est Kathleen Kim, dans le rôle du page Oscar: voix agile, légèreté, humour.

Sans oublier le maestro Fabio Luisi et l'orchestre, qui ont mis en valeur les magnifiques passages orchestraux. Il y a eu de bons moments, surtout aux deuxième et troisième acte, séparés par des scènes un peu longues et sans grand intérêt.

Mise en scène de David Alden. Scénographie étrange et disparate, signée Paul Steinberg. Un grand tableau représentant la chute d'Icare se déplace au-dessus des têtes et déforme l'espace où évoluent les personnages: mais pourquoi?

verdi,metropolitan opera,un ballo in maschera,sondra radvanovsky,kathleen kimAu fond, chaque scène et chaque artiste avait des qualités, mais on aurait dit des pièces détachées, auxquelles il manquait une vision d'ensemble unifiante.

Verdi (ci-contre) fut obligé de faire modifier le livret (d'Antonio Somma), car la censure napolitaine n'acceptait pas que l'on représente sur scène le meurtre d'un roi. On changea donc le roi pour le gouverneur de la ville de Boston, où toute l'action fut déplacée. Heureusement, comme on le fait la plupart du temps de nos jours, et même si c'est joué aux États-Unis, on a repris le livret original, bien plus intéressant puisque inspiré d'un fait réel: l'assassinat du roi Gustave III par Ankarström lors d'un bal masqué.

04/12/2012

Entre vengance et clémence, le choix de Titus

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Le titre de l'opéra, La Clemenza di Tito, résout l'équation de mon propre titre. L'empereur romain Titus choisit d'être clément, de pardonner à ceux qui l'ont trahi et voulu le faire mourir. Même si les lois et coutumes voudraient qu'il les fasse exécuter.

J'ai bien aimé ce personnage, tout en douceur et en compassion.

De graves problèmes techniques ont cependant affecté la présentation de cet opéra de Mozart.  Il y a eu en réalité dix minutes de bon son, les dix dernières. Nous venions d'endurer trois heures d'une transmission sonore déficiente: son étouffé, grésillements, grondements, silences etc...  C'est un changement de logiciel survenu au Metropolitan Opera qui aurait causé tous ces problèmes, nous expliquait le jeune employé du cinéma Jonquière, fort désolé de cette situation à laquelle il ne pouvait rien.

En général, le premier acte m'a semblé un peu ennuyeux, et le second, absolument merveilleux.

Entre les deux actes, les interviews menées par Susan Graham avec les artistes m'ont permis de mieux apprécier la suite. Le chef Harry Bicket a notamment expliqué pourquoi il aimait la musique de ce dernier opéra composé par un Mozart malade et en grande difficulté financière: pour remplir une commande qui tombait à point, il revint à l'opera seria qu'il avait pratiqué à ses débuts, mais en y mettant toute son expérience, tout le savoir-faire acquis entre-temps, créant ainsi une partition tout à fait exceptionnelle, à la fois dans son oeuvre et dans l'opéra en général.

Je n'avais pas vraiment besoin de ça pour aimer le divin Mozart, remarquez, car sa musique est toujours aussi sublime.

Ne pouvant pas apprécier les performances vocales à leur juste valeur, à cause de ces problèmes de son, je me suis intéressée à autre chose. À leur jeu par exemple. Le personnage central est Sesto, ami de Titus. La perverse Vitallia, dont il est épris, lui ordonne de tuer l'empereur car elle croit que ce dernier lui préfère Bérénice. (Elle se trompe: malgré une grande passion réciproque, Titus vient de renvoyer Bérénice, que nous voyons, dans une scène muette, embarquer sur un navire qui la conduira vers sa Palestine natale).

Je ne sais pas si c'est parce que Sesto est un rôle travesti, joué par la merveilleuse Elina Garanča, mais il ne passe guère de sensualité entre elle et Barbara Frittoli, qui incarne Vitallia.

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J'ai remarqué en revanche le visage très expressif de cette dernière: oeillades, sourires en coin, comme un livre ouvert, ses traits mobiles expriment sa malice, sa perfidie, sa ruse, et plus tard, son repentir. Vêtue d'une époustouflante robe noire (photo ci-dessus), Frittoli assume aussi avec élégance la progression de Vitallia de la perversité vers la douceur, ce qui donne ce très beau Non piu di fiori, chanté avec accompagnement de cor de basset.

Titus est joué par Giuseppe Filianoti, et il y a un autre rôle travesti, celui d'Annio, joué par Kate Lindsay.

Malgré donc une transmission imparfaite, je n'ai pas regretté d'avoir été voir La clémence de Titus. Surtout que l'opéra (livret de  Caterino Mazzolà d'après Metastase et Corneille) commence là où se termine Bérénice, le chef-d'oeuvre de Racine, c'est-à-dire avec le départ de Bérénice. Titus et elle se séparent par devoir, invitus invitam, malgré lui malgré elle:

Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?
Que le jour recommence et que le jour finisse,
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ?

 

12/11/2012

Tempête sur le Met

The Tempest, Thomas Adès, Robert Lepage, Audrey Luna, Simon Keenlyside, Alan Oke

J'ai hésité un peu, puis finalement je suis allée voir The Tempest samedi au cinéma Jonquière, en direct du Metropolitan Opera. Après tout, ce n'est pas tous les jours qu'on a l'occasion de voir un compositeur diriger sa création. C'était fréquent autrefois, mais les temps ont changé.

Donc, Thomas Adès, qui a collaboré avec Meredith Oakes pour le livret, était au pupitre pour diriger cette oeuvre, inspirée de La Tempête de Shakespeare. Robert Lepage signe la mise en scène, qu'il a présentée en grande première l'été dernier à Québec, avec une distribution différente.

Je n'ai pas regretté mon déplacement, même si, du point de vue musical, ce n'est pas tout à fait the tempest,thomas adès,metropolitan,operarobert lepage,audrey luna,simon keenlyside,alan okema tasse de thé. Disons que ce ne sont pas des mélodies à retenir ou à fredonner. Toutefois, c'était moins agressif que je l'aurais pensé. J'ai même beaucoup aimé Audrey Luna dans le rôle d'Ariel: une voix quasi surnaturelle dans les aigus extrêmes, entre le cri et le chant, c'est fascinant, vraiment beau à entendre (c'est elle qui chantait à Québec également). Lèvres peintes en mauve, elle se déplace dans l'espace avec des mouvements stylisés et amplifiés, une gestuelle empruntée à la fois à l'animal et à l'acrobate de cirque.

Je nai jamais vu la pièce de Shakespeare au théâtre, mais j'en ai vu diverses adaptations, comme The Enchanted Island, créé au Met l'an dernier, donc je connais un peu la trame et les personnages.

Le baryton Simon Keenlyside incarne un superbe Prospero. Très bons interprètes aussi:  Alan Oke, le sombre Caliban, Isabel Leonard (le rôle était tenu par Julie Boulianne à Québec) en Miranda, fille de Prospero et Alek Shrader, qui joue son amoureux, le jeune et beau Ferdinand.

La mise en scène est vivante, très visuelle. Après  la tempête initiale, spectaculaire avec ses grands flots bleus où s'agitent les âmes en perdition, les naufragés et les autres se retrouvent dans les décors d'un théâtre, celui de la Scala de Milan, où le lustre imposant se déplace dans l'espace, servant notamment de perchoir à Ariel. Une belle idée, même si ce n'est pas la première fois qu'on voit ça, à la fois théâtre dans le théâtre, et "calendrier de l'Avent" (des cases où se jouent diverses scènes), comme disent les Anglais. J'ai adoré ce concept, porteur, inspiré et inspirant.

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À travers les rivalités, luttes de pouvoir, affrontements, revirements, l'amour (celui du couple Miranda et Fernando, celui du père de ce dernier pour son fils, celui de Prospero pour l'humanité), naît ou se développe, se révèle plus fort que les pouvoirs magiques et triomphe finalement.

Si la première scène, celle qui suit la tempête, est un peu longue et soporifique, la suite est à la fois intéressante, divertissante et convaincante. Je me suis laissée porter, bercer, enchanter par ce rêve, cette légende, ces symboles, ces élans, et par cette musique étrange qui soutient tout cela.

Un peu moins de monde que d'habitude à Jonquière, certains habitués ont déclaré forfait, craignant peut-être de sortir des sentiers battus, mais pour ma part, je suis vraiment heureuse d'avoir vu The Tempest.

15/10/2012

L'âme d'un artiste: Matthew Polenzani

À l'entracte, la soprano Debora Voigt demande au ténor Matthew Polenzani, qui joue le rôle de Nemorino dans L'elisir d'amore (opéra du Met présenté samedi au cinéma Jonquière), qu'est-ce qu'il ressent alors qu'il va bientôt chanter Una furtiva lagrima, célébrissime aria interprétée par Pavarotti, Caruso, Domingo et autres grands ténors de ce monde (au bout de ce lien, par Pavarotti, en 1985 à l'émission française Le grand échiquier animée par Jacques Chancel).

En fait répond-il (je traduis librement son anglais):

"je vais penser à cette larme, cette larme qu'elle (Adina) vient de verser et qui me prouve son amour. Je vais exprimer mon émotion et ma joie d'avoir vu couler cette larme".


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(Anna Netrebko et Matthew Polenzani. Photo: Ken Howard, Metropolitan Opera)


Quelle réponse magnifique! Celle d'un véritable artiste. Quand il est sur scène, il ne songe pas à la gloire, à la compétition, à la performance, futilités auxquelles peuvent penser les journalistes qui l'interrogent ou les badauds qui l'écoutent. Il est simplement là,  tout entier là, en train de faire son métier, concentré à être ce personnage d'amoureux bouleversé par cette larme furtive aperçue sur la joue de sa bien-aimée.

D'ailleurs son Una furtiva lagrima était tout à fait sublime. Des instants de pur bonheur pour nous qui l'écoutions dans la salle obscure, et pour ceux qui l'ont ovationné pendant de longues minutes à New York. Il a surmontmetropolitan opera,met,cinéma jonquière,matthew polenzani,anna netrebkoé avec aisance les aigus et les fortissimi, mais c'était encore plus beau quand il chantait pianissimo: nous pouvions entendre sa voix pure et douce et observer, en gros plan sur son visage, l'expression de son sentiment amoureux, extatique sur les dernières syllabes de "si puo morir d'amor".

Voilà la réponse d'un authentique artiste, ai-je pensé, moi qui l'admirais depuis le début de cette belle production du Metropolitan Opera. Pourtant, je l'avais déjà vu dans Don Pasquale (aussi de Donizetti et aussi avec Anna Netrebko), et La Traviata où, je l'avoue, il ne m'avait pas tellement impressionnée. Mais cette fois, j'étais sous le charme (il est très beau en plus...)

La mise en scène de Bartlett Sher, finement nuancée, met l'accent sur le côté romantique de cette oeuvre très légère, plutôt que sur l'aspect rigolade et grosse farce auquel on réduit parfois L'elisir...

Anna Netrebko dans le rôle d'Adina, surmonte sans trop de problèmes les écueils de ce bel canto qui la tire hors de sa zone de confort. Le baryton polonais Mariusz Kwiecien s'acquitte honorablement du rôle unidimensionnel de Belcore, tandis que l'énorme -et excellent chanteur-  Ambrogio Maestri nous fait bien rire avec les boniments du dottore Dulcamara. À noter, le clin d'oeil amusant de ses deux sbires, portant costumes blancs et verres fumés teintés de rose...

 

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(Anna Netrebko, Mariusz Kwiecien. Ambrogio Maestri. Photo: Ken Howard, Metropolitan Opera)


Bons points aussi pour l'impeccable diction (italienne) de tous ces interprètes: tellement précise que je comprenais presque toutes les paroles sans avoir besoin de lire les sous-titres anglais, et pour la direction musicale tout aussi impeccable de maestro Maurizio Benini.

C'était un plaisir de renouer avec l'opéra du Met, en compagnie des fidèles habitués et de quelques nouveaux adeptes. De beaux samedis après-midi en perspective au cinéma Jonquière encore cette saison.

15/04/2012

La Traviata: souffrante... et magnifique!

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La dernière retransmission du Metropolitan Opera samedi au cinéma Jonquière: La Traviata de Verdi, a connu un grand succès: tous les sièges étaient occupés. J'ai aimé la scénographie dépouillée et intemporelle, cette grande horloge qui évoque le temps compté à Violetta, et tous ces tous ces éléments en forme de croissant ou de demi-lune. La mise en scène de Willy Decker est correcte, mais n'évite pas la confusion au sujet des lettres échangées et des motivations de chaque personnage.

Natalie Dessay, qui a bien failli ne pas pouvoir chanter, fait -presque- toute la valeur et la saveur de cette production. La soprano s'est désistée le soir de la première, et il était facile de comprendre pourquoi samedi en l'entendant répondre avec difficulté aux questions de Deborah Voigt à l'entracte, la voix manifestement très affectée par une quasi extinction... et manifestement malheureuse ce cette situation. Malgré cela, malgré quelques difficultés non seulement à atteindre les aigus (elle en a raté quelques-uns), mais simplement par moments à faire sortir le son, elle est éblouissante. Comme comédienne, elle est entièrement là, entièrement Violetta Valéry. Joie, peine, regret, espoir:  tout est dépeint dans les moindres nuances par son jeu, son visage, ses gestes.

Robe rouge, robe blanche (pour elle) sur des fauteuils et divans de cuir aux mêmes couleurs: l'effet est intéressant. Peignoirs fleuris (pour elle et lui) sur meubles recouverts du même tissu fleuri:  trop, c'est trop.

Mais quelles grandes arias: Libiamo, Un di felice, È strano... on sort du premier acte joyeusement imbibé de bel canto. Et à la fin, son Addio del passato, peut-être plus facile vocalement, est totalement émouvant. D'ailleurs toute la finale est parfaitement réussie:  crédible et touchante.

J'écris comme s'il n'y avait qu'elle dans cet opéra. C'est que les partenaires masculins de Mme Dessay ne sont pas tout à fait à la hauteur. Le ténor Matthew Polenzani, qui joue le rôle de son amant Alfredo, possède une belle voix et chante plutôt bien, mais son jeu est uniforme et son visage manque singulièrement d'expression.

Quant au baryton Dmitri Hvorostovsky, malgré sa réputation, son statut de vedette, et son excellence dans d'autres productions, il m'a déçue dans cette production, et je le regrette beaucoup. Malgré ses cheveux blancs, il n'est pas tout à fait crédible dans le rôle du père d'Alfredo. Il chante bien, mais ne semble pas très à l'aise dans ce rôle qu'il a pourtant souvent joué.

Par ailleurs l'orchestre est fort agréable à entendre sous la baguette de Fabio Luisi. Et les choeurs se montrent dynamiques et bien chorégraphiés.

Nous avons eu droit à une présentation vidéo des opéras du Metropolitan qui seront retransmis la saison prochaine: plusieurs oeuvres s'annoncent intéressantes.

Autres points de vue sur La Traviata du Met au cinéma:

Christophe Huss dans Le Devoir

Jack sur son blogue

09/04/2012

Manon: oui et non

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Deux jours apèrs avoir vu Manon, de Julles Massenet, en direct du Metropolitan Opera au Cinéma Jonquière, je suis incapable de dire si j'ai vraiment aimé cette production.

Je connais assez bien l'oeuvre, j'en aime beaucoup la musique, qui fut d'ailleurs très agréable à entendre  sous la baguette du maestro Fabio Luisi. J'ai beaucoup écouté deux de ses arias,  "Je marche sur tous les chemins" (cliquez sur l'image ci-dessus pour entendre un extrait de la 2e partie sur Youtube),  et  surtout "Ah fuyez douce image", un air qui me suit depuis l'adolescence: il correspond à quelque chose en moi et je l'écoute encore dans mon auto, chanté par Richard Verreau.
Mais ce ne sont pas ces deux grands passages que j'ai le plus appréciés dans cette production du Met: ils m'ont semblé corrects, agréables sans plus.

manon,massenet,metropolitan opera,anna netrebko,piotr beczala,laurent pelly,des grieux,manon lescautAnna Netrebko joue assez bien la passion, les sentiments forts, sans cependant entrer totalement dans le personnage de Manon. Et malgré ses nombreuses qualités, elle n'est pas idéale vocalement pour cette musique: beaucoup d'approximations, manque d'agilité, quelques aigus carrément ratés. Son partenaire, le ténor polonais Piotr Beczala (le Chevalier Des Grieux), offre en revanche une technique très sûre, un chant élégant et raffiné. Il manque un peu de volume toutefois et force trop sa voix dans les fortissimi. (Je les ai vus tous deux dans Lucia di Lammermoor en 2009).

La scène finale, où Manon meurt dans les bras de son amant sur la scène presque vide dans une ambiance d'après-guerre, est quant à elle vraiment réussie, dramatiquement et musicalement.

manon,massenet,metropolitan opera,anna netrebko,piotr beczala,laurent pelly,des grieux,manon lescautJ'ai aimé la touche française de l'ensemble. D'abord bien entendu le livret, inspiré à Henri Meilhac et Philippe Gille par le roman de L'Abbé Prévost.

Ensuite l'équipe, Laurent Pelly à la mise en scène et aux costumes, et  Chantal Thomas à la scénographie. Les maisons en trompe-l'oeil à échelle réduite, le décor (dépouillé) en rampes et  escaliers, en lignes obliques et jeux d'échelle. Le contraste entre l'exubérance sensuelle des costumes féminins et la sobriété sévère du décor, auquel répond le contraste entre l'austérité de Saint-Sulpice et la scène torride qui s'y déroule: c'est inventif et dynamique.

Pas évident de mettre en scène cet opéra dont les contours narratifs et la logique psychologique sont flous à plusieurs endroits. Le personnage de Manon est difficile à cerner: naïve jeune fille victime de conventions sociales hypocrites, coquette amorale, bombe sexuelle, écervelée cupide: il faut montrer tout cela, et ce fut bien fait il me semble.

Mais il penche en définitive vers le côté avide (pour le sexe, l'argent, le plaisir) du personnage, ce qui a fort déplu aux critiques new-yorkais. Ils n'ont pas apprécié non plus qu'on installe la chambre de Des Grieux dans l'église, ni, dans ce lieu même, l'entreprise de séduction d'une Manon extrêmement lascive qui commence à déshabiller Des Grieux sous nos yeux. Ils n'ont pas aimé enfin que des messieurs bien mis enlèvent les jeunes ballerines à la fin du ballet. Que voulez-vous, c'est français!

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Plusieurs rôles secondaires intéressants. Le ténor Christophe Mortagne (Guillot de Morfontaine, photo ci-dessus) Français à la diction impeccable, artiste polyvalent (il est aussi magicien) et plus tout jeune, spécialisé dans les rôles comiques, davantage parlés que chantés, offrit avec brio les quelques moments comiques de l'après-midi. Il se montra cependant incapable de répondre aux questions de Deborah Voigt à l'entracte, soit à cause de la langue ou du trac. L'animatrice et un autre chanteur ont dû intervenir pour meubler le silence et compléter ses phrases, c'était un peu pénible.
J'ai bien aimé aussi le baryton David Pittsinger (vedette de la comédie musicale South Pacific, version 2008!), dans le rôle du comte des Grieux (le père du Chevalier) et Bradley Garvin dans celui de Brétigny. Le baryton Paulo Szot qui jouait Lescaut, le cousin de Manon, était un peu fade et moins intéressant.
Bref, j'hésite encore... au sujet de cette Manon, qui m'a fait passer en somme quelques bons moments.

23/01/2012

Le baroque enchanté

Moi qui affirme depuis toujours aimer la musique baroque, j'ai éprouvé quelques doutes quand j'ai assisté en décembre dernier à la projection de Rodelinda de Haendel, présenté au Metropolitan Opera: le contre-ténor avait un filet de voix et je m'y étais un peu ennuyée.

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Est-ce que j'aime vraiment cette musique, m'étais-je demandé? La réponse est un immense oui, conforté par cette autre production du Met que j'ai vue samedi au cinéma Jonquière: The Enchanted Island, un nouvel opéra, un "pastiche baroque". Le livret de Jeremy Sams assemble deux pièces de Shakespeare plus un certain nombre d'éléments originaux, et le texte en anglais (un anglais de grande qualité m'a-t-il semblé à la lecture des sous-titres) est associé à plus de 40 pièces de musique baroque, en grande majorité de Haendel mais aussi de Vivaldi, Rameau, Purcell et quelques autres.

Après quelques moments d'inquiétude dans la salle du cinéma car un problème technique empêchait la transmission (c'était ainsi partout au Québec nous a-t-on dit), ce qui nous a fait manquer la présentation et l'ouverture, nous avons été d'un coup plongés dans ce monde, happés par la beauté, la profondeur et la richesse de cette musique servie par des interprètes de haut niveau.

Enfin un haute-contre, David Daniels, qui chante (le rôle de Prospero) superbement et à plein volume, à qui la soprano Danielle De Niese (Ariel), véritable tourbillon de charme et d'entrain, donne la réplique en multipliant les ornementations avec une extraordinaire aisance, tandis que l'orchestre, dynamique et percutant, dirigé par William Christie (l'un des initiateurs du projet, avec le directeur du Met Peter Gelb), ponctue et accentue chaque passage de façon enlevante.

Tous les interprètes font assaut des plus grandes qualités vocales et dramatiques, que ce soit la magnifique mezzo Joyce DiDonato, en sorcière, ou bien le superbe baryton-basse Luca Pisaroni (tous deux sur la première photo), celui-là même qui jouait Leporello dans le récent Don Giovanni du Met, et qui apparaît ici sous les traits de son fils, le difforme Caliban, mort-vivant aux oripeaux death metal. Ou encore Lisette de Oropesa, excellente dans le rôle de Miranda, et l'autre contre-ténor, le jeune Anthony Roth Constanzo (il a d'ailleurs remplacé David Daniels dans le rôle de Prospero pour quelques représentations de L'Île enchantée), qui nous charme par la beauté de sa voix dans son (seul) grand solo et dans son duo. Chacun des membres du quatuor des naufragés est tout aussi agréable à voir et à entendre.

the enchanted island,metropolitan opera,david daniels,danielle de niese,joyce didonatoL'histoire se passe sur une îleProspero règne en tyran. Une tempête (celle de Shakespeare!) y déverse deux couples en voyage de noces qu'on n'attendait pas. Quelques-uns de ces naufragés, ayant absorbé des potions magiques mal dosées ou qui ne leur étaient pas destinées, forment des couples improbables avec les habitants de l'île, qui eux voudraient bien se libérer du joug de Prospero. C'est une histoire amusante, charmante, étonnante, qui fait place à quelques beaux moments d'intense émotion.

Pour les créateurs, une occasion unique de mettre en lumière des décors fabuleux et fantaisistes (parfois un peu kétaines mais bon): une caverne, une forêt magique, des arbres qui s'illuminent, des animaux fantastiques, la mer, les bateaux, les vagues.

Et la grandiose apparition de Neptune, en direct de l'océan sur son trône en forme de coquillage, entouré de sirènes et autres créatures marines. Ce dieu de la mer est chanté par Placido Domingo, qui fêtait ce jour-là son 71e anniversaire: un peu fatigué mais chantant encore assez bien ce rôle bien fait pour lui. "C'est la première fois que j'interprète un dieu", disait-il à Deborah Voigt à l'entracte.

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Il y a aussi un extraordinaire ballet, pastiche moderne et déjanté du traditionnel ballet d'opéra.

Les puristes hurleront peut-être (d'ailleurs ils ont hurlé dans certains médias new-yorkais), mais pour moi c'est une réussite totale. Tout y est: voix, musique, décors, livret intelligent et inventif (sauf peut-être quelques longueurs, quelques scènes un peu inutiles en deuxième partie): on ne se lasse pas d'écouter et de regarder.

Mais en premier lieu sans doute, il y a cette impression très nette que toute l'équipe, autant les concepteurs que les chanteurs-acteurs, met toute son énergie, travaille dans la même direction et se donne à fond pour faire exister cette merveilleuse fantaisie, dans le seul but de créer un lieu et un espace de plaisir partagé.

Même loin, même au cinéma on sentait bien, grâce à la magie du direct, cette chimie, ce petit plus, cette étincelle qui s'allume quand tout le monde est en phase et totalement engagé, bref, quand le tout est plus grand que la somme des parties.