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27/03/2014

Petit besoin, grande découverte

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Quand je sors pendant plus d'une heure, je dois savoir où je pourrai éventuellement faire pipi. Au Saguenay, je n'ai pas de problème: je connais toutes les toilettes publiques, je sais qu'il y en a même une à mon supermarché IGA.

Au cinéma, au spectacle, au centre commercial, et même le long de ma route quand je vais à vélo, je sais où je peux satisfaire ce fréquent besoin naturel. (Par exemple, les toilettes publiques de la place Nikitoutagan, ou encore celles du Cégep de Jonquière).

C'est aussi facile d'en trouver dans les lieux publics de Montréal: je fréquente beaucoup celles de la Place des Arts. Mais quand je vais magasiner rue Saint-Denis, entre Sainte-Catherine et Mont-Royal, c'est vraiment compliqué.

sanctuaire du saint-sacrement,mont-royal,montréal,photos,escalierÀ moins de manger au restaurant ou de m'arrêter dans un boui-boui où je dois consommer quelque chose... D'ailleurs si prends un café dans un café, j'aurai besoin de toilettes dans pas longtemps! J'aimerais bien faire cela chez Renaud-Bray, ce serait chic et disting. Mais je comprends que la librairie ne puisse procurer de telles commodités à sa clientèle, le risque de vols serait bien trop grand.

Malgré tout, j'ai déniché un endroit, l'été dernier. Je me trouvais dans le métro et savais que je ne pourrais pas me rendre à destination, c'est-à-dire à la station Jarry et marcher encore dix minutes pour aller chez mon fils. Je suis donc sortie à la station Mont-Royal et j'ai marché un peu vers l'est, pour me retrouver devant le sanctuaire Saint-Sacrement. J'étais souvent passée devant ce beau bâtiment manifestement voué au culte. Une pancarte annonçait une vente de livres: nihil obstat, une dispense pour pénétrer en ces lieux!

Je suis entrée discrètement, j'ai jeté un coup d'oeil vers ce bazar du livre, au bas de l'escalier:

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Pour ma part, j'ai plutôt monté le majestueux escalier double que voici:

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J'ai fait quelques pas dans un couloir et... bingo! des toilettes! Peut-être pas tout à fait publiques, mais néanmoins accessibles et surtout, essentielles pour moi à ce moment-là. Je n'ai pas trop pris le temps d'admirer ce sanctuaire qui venait pourtant de répondre si adéquatement à mes besoins, car je ne me sentais pas très à l'aise. J'avais l'impression d'être une intruse et je suis sortie bien vite après avoir fait mes dévotions.

Cependant mes recherches subséquentes m'ont appris des choses intéressantes au sujet de ce bel édifice. Aujourd'hui siège social des Fraternités Monastiques de Jérusalem à Montréal, il était autrefois un monastère et une église des pères du Très-Saint-Sacrement, avant de se transformer en lieu de culte de la paroisse du Saint-Sacrement, laquelle fut dissoute en 1998.

J'ai aussi trouvé une photo de la maison d'origine, achetée (en 1890) à Joseph Louis Barré pour en faire une chapelle, le premier sanctuaire d'adoration en Amérique du Nord!

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Ainsi que l'esquisse du plan de développement du monastère, fidèlement suivi si on en juge à l'aspect actuel de l'édifice.

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Pour davantage d'information sur l'histoire de ce bâtiment, cliquer ici.

Il y a là des trésors, notamment une chapelle, que je n'ai bien sûr pas vue, deux orgues, et plusieurs oeuvres d'art. Description au bout de ce lien.

Pour terminer, une photo de la chapelle, empruntée (de même que celle du double escalier, les autres photos sont de moi) au site Montréal in pictures :

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21/03/2014

Quitter le monde

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Dans le roman de Douglas Kennedy intitulé Quitter le monde, que j'ai lu récemment, la narratrice (américaine), qui tente d'échapper à un deuil et à une profonde dépression, quitte son pays pour aller vivre à Calgary, en Alberta.

Elle assiste à un concert donné par la pianiste Angela Hewitt (photo ci-dessus) au centre des arts de l'endroit (vraisemblablement le Jack Singer Concert Hall, dont le nom n'est cependant pas mentionné).

La pianiste est décrite ainsi: "la cinquantaine, pas vraiment belle mais avec un charme à la Simone de Beauvoir malgré sa robe en lamé bleu tapageuse".

Angela Hewitt interprète les Variations Goldberg, de Bach. Pour la narratrice, c'est le bonheur:

"Soixante-quinze minutes d'exploration d'un édifice musical fondamental, dans lequel se reflétait toute la palette des émotions humaines, de l'introspection la plus rigoureuse à l'optimisme exalté, de la méditation apaisée au désespoir le plus profond, de l'allégresse facétieuse à l'acceptation résignée de ce que la vie a d'éphémère...

(...) Chez moi, je me suis assise dans le fauteuil sans enlever mon manteau. J'étais encore remplie de gratitude pour ce moment musical si lumineux, si puissant que oui, je m'en rendais soudain compte, il m'avait permis d'échapper pendant une heure et quart à une affliction omniprésente".

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J'ai bien aimé ce passage, pour deux raisons. Premièrement, il exprime bien comment l'art, la musique dans ce cas, peut nous aider à "quitter le monde", c'est-à-dire nous transporter dans une sorte d'univers parallèle, où l'on oublie tout sauf ce qu'on est en train de recevoir à chaque seconde de l'instant présent.

Ce sont des moments de grâce, qui peuvent effectivement consoler, réconforter, offrir une sensation de plénitude, de pur bonheur au milieu d'une vie tumultueuse.douglas kennedy,quitter le monde,angela hewitt,variations goldberg,glenn gould,david jalbert

L'autre raison pour laquelle j'ai réagi fortement, c'est que j'ai moi-même eu le bonheur d'assister à un concert d'Angela Hewitt. C'était en 2001, à l'auditorium Dufour de Chicoutimi. Elle n'avait pas joué les Variations Goldberg, mais d'autres pièces de Bach, ainsi que de Beethoven et de Schumann. S'adressant au public, elle a raconté que, 36 ans plus tôt, elle était venue pour la première fois à Chicoutimi, comme candidate aux Concours de musique du Québec et du Canada. Elle avait remporté le premier prix dans sa catégorie: sept ans et moins.

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Elle et sa mère avaient logé dans ce même hôtel Chicoutimi où elle habitait le soir du concert. Et c'était un magnifique concert. Vous pouvez lire mon compte rendu en cliquant sur l'image du billet ci-dessus.

Quant aux Variations Goldberg, j'ai aussi vécu cette expérience de quitter le monde quand je les ai entendues en 2012 jouées par le pianiste David Jalbert à Métabetchouan: la description des réactions de la salle que j'en ai faite sur ce blogue (ici)  ressemble beaucoup à celle qu'il y a dans le roman de Douglas Kennedy.

Si vous voulez les écouter, par Glenn Gould, cliquez sur cette image:

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17/03/2014

Werther: dentelle et performance

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Sur le rideau qui cache la scène du Metropolitan Opera, avant le début de Werther, sont inscrits les mots "Joyeux Noel", pour souligner que la première scène montrera des enfants apprenant des chants de Noël. L'oeuvre est en français et ils ont voulu bien faire.

Mais ils ont oublié le tréma sur le "e" de Noël! Oups!

La mezzo-soprano Sophie Koch porte des robes assez hallucinantes, que l'ont dirait faites au crochet. Surtout la deuxième (visible sur la photo ci-dessous), blanc crème, complexe avec ses innombrables replis, superpositions, chevrons, boutons et changements de direction. Je ne saurais pas dire si c'est beau ou non, pas vraiment à mon goût, mais enfin c'est fascinant et peut-être fidèle à ce que les dames portaient à l'époque. Sa robe de nuit en dentelle légère a aussi ce petit air fait main, et même la robe de chambre qu'elle porte par-dessus semble tissée à la main. On pourrait en dire autant du costume de tweed que porte sa soeur.

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Ce qu'il y a de plus remarquable dans cette production est toutefois l'extraordinaire performance du ténor Jonas Kaufmann dans le rôle-titre: presque toujours en scène, il doit chanter alternativement à pleine voix et presque tout bas. Dans la scène finale, il chante en mourant, couché par terre, puis sur un lit, parfois la tête en bas. Son grand air, Pourquoi me réveiller (un extrait en cliquant sur l'image ci-haut), est magnifique, livré avec intensité, sensibilité et justesse.

Un véritable marathon, exigeant mentalement et physiquement, qu'il court sans aucune difficulté (apparente: il prend bien soin de préciser en interview que c'est très difficile mais que cela ne doit pas paraître), dans un français impeccable, meilleur que celui de Sophie Koch, qui est pourtant française. Kaufmann, d'ailleurs considéré comme l'un des grands ténors de l'heure, chante et joue de façon admirable, et il est très bel homme en plus.

Cette oeuvre minimaliste de Jules Massenet  -nombre réduit de protagonistes et de choristes (une demi-douzaine d'enfants qui interviennent assez peu)- met donc en scène Werther, d'abord créé par Goethe dans Les souffrances du jeune Werther. Celui-ci est pris d'une violente passion  pour Charlotte, une jeune fille qui se refuse à lui car elle doit épouser Albert à qui elle est fiancée. Une passion romantique, maladive, qui bien entendu conduit au drame.

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La mise en scène du réalisateur britannique Richard Eyre est à la fois simple et efficace, serrant au plus près l'évolution des personnages en modulant les infimes variations de leurs sentiments. La scénographie, signée Rob Howell (qui a aussi créé les costumes), encadre avec pertinence les chanteurs dans des espaces réduits, avec un recours fréquent (mais justifié) aux projections.

Bref, la production est assez réussie, mais au point de vue chant, exception faite de Jonas Kaufmann, la performance générale est plutôt moyenne. L'orchestre m'a semblé fort bon, et tous les interviewés, autant les chanteurs que le chef Alain Altinoglu, s'accordaient à louanger l'exceptionnelle profondeur musicale et orchestrale du compositeur.

Werther était projeté au cinéma Jonquière, en direct du Metropolitan Opera, le samedi 15 mars 2014.

 

10/03/2014

Amour, prison et maths

Mon père m'a donné cet objet quand il a déménagé il y a quelque temps:

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Il l'avait reçu de sa mère, et elle-même l'avait hérité d'un parent. Dans la famille (et peut-être partout au Québec), on appelait cela le jeu du prisonnier et c'est sous ce nom que papa me l'a désigné quand, enfant, je lui ai demandé ce que c'était.

Comme on peut le voir, ce n'est pas un objet usiné: il  semble avoir été été gossé à la main,  peut-être par un forgeron. Il est beau dans sa simplicité rustique, je l'aime bien.

Il est fait de 14 tiges de métal fixées par une boucle à une bande métallique trouée. À leur autre extrémité elles se terminent par un anneau mobile enfilé (ou non) sur une double tringle. Le but du jeu est de faire glisser les anneaux hors de cette tringle, de façon à finalement séparer les deux parties horizontales. Ou encore, si elles sont séparées, à remettre à nouveau tous les anneaux sur la tringle.

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On ne peut pas glisser hors de la tringle l'anneau qui est le plus près de l'extrémité, mais uniquement celui qui est derrière le premier. Donc, pour enlever le deuxième anneau, il faut remettre le premier, puis enlever le deuxième et le premier. Pour le troisième, il faut remettre le deuxième et le premier, enlever le deuxième (en remettant le premier), enlever le premier.

Et pour le sixième, par exemple, il faut refaire tous les mouvements qu'on a faits pour enlever le premier, le deuxième et les trois autres, et pour chacun de ceux-ci, refaire également toute l'opération, et ainsi de suite.

Vous voyez le genre: un casse-tête qui demande de la patience et un temps infini.

Selon la légende québécoise, un juge fit remettre un exemplaire de ce casse-tête à un criminel qu'il venait de condamner à la prison. "Tu pourras sortir quand tu l'auras complété", dit-il à l'homme qui se mit aussitôt à l'oeuvre... et mourut néanmoins dans son cachot! D'où son nom: le jeu du prisonnier.

On le dit créé au 2e siècle de notre ère par le général chinois Chu-ko Liang (ou par un simple soldat selon une autre version) qui, au moment de partir à la guerre, le remit à sa femme pour lui permettre de se désennuyer pendant son absence!

Dans une version plus romantique, un amoureux l'offrit à sa bien-aimée en lui faisant promettre de l'aimer jusqu'à ce qu'elle ait terminé le jeu. (Très risqué, ça...)

Les Français le connaissent sous le nom de jeu du baguenaudier et les anglophones l'appellent le jeu des anneaux chinois (chinese rings). Il en existe différentes versions, comportant un nombre variable de tiges. En voici un très joli exemplaire:

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Et encore un autre:

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Et enfin celui-ci, qui ressemble beaucoup au mien, mais en plus  raffiné:

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Pour terminer, la résolution de ce puzzle peut être exprimée par une formule mathématique que l'on doit au mathématicien italien du 16e siècle Jérôme Cardan, c'est pourquoi le jeu est aussi appelé anneaux de Cardan.

Cette formule, utilisée en calcul binaire, serait donc à l'origine des calculatrices électroniques et des ordinateurs d'aujourd'hui...
Selon mes propres calculs, il me faudrait effectuer 10922 mouvements sur mon jeu du prisonnier pour le réussir en entier...

 

 

03/03/2014

Prince Igor: slave de haut en bas

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Un ancien critique new-yorkais devenu blogueur expliquait récemment (ici) pourquoi il avait quitté la salle après le premier acte de l'opéra Le Prince Igor, présenté au Metropolitan Opera de New York. Bizarrement, l'idée de m'en aller m'a également traversé l'esprit quand j'ai assisté samedi dernier à la projection de cet opéra au cinéma Jonquière, mais pas pour les mêmes raisons.

L'action de ce premier acte m'avait semblé confuse, l'éclipse solaire était vue de l'intérieur d'un bâtiment, ce que je trouvais facile et paresseux comme idée de mise en scène, et la présentation des Danses polovtsiennes dans un champ de coquelicots m'était apparue du  dernier kitsch.
De plus: je ne comprenais pas (ou très peu) où étaient présentées les projections cinématographiques en gros plan; l'action, qui se déroule en principe au Moyen Âge, était transposée, sans grand bénéfice, quelque part au début du 20e siècle. Bref, tout ça m'a semblé assez ordinaire.
Rencontrés à l'entracte, mes compagnons de visionnement semblaient pour leur part conquis par ce qu'ils avaient vu. J'étais d'accord avec eux sur au moins un point: la musique était belle et la distribution, entièrement slave, formidable. J'ai donc décidé de retourner à mon siège après le premier acte, et je ne l'ai pas regretté.

La prestation de la basse Mikhail Petrenko (dont j'ai parlé dans le précédent billet), fut l'étincelle qui m'a fait embarquer dans l'aventure et aimer ce que je voyais et entendais. Ceci malgré mon inconfort face à la mise en scène (signée Dmitri Tcherniakov) et surtout à la réalisation pour le cinéma de cet opéra.

Dans le rôle du prince Galitsky, Petrenko fait montre d'un si beau timbre et d'un jeu dramatique si convaincant que j'ai été conquise par ce méchant, dépravé, violeur et buveur!


La musique m'est apparue plus belle aussi, grâce notamment aux airs poignants chantés par Oksana Dyka (on peut l'entendre en cliquant l'image ci-haut), soprano ukrainienne au visage à la fois expressif et serein, aux traits inoubliables, jamais déformés ni tordus par ses efforts musicaux pourtant incontestables.

Bref, je me suis abandonnée à cette histoire qui met en évidence les remords qu'éprouve le prince Igor pour avoir entraîné ses soldats dans la guerre: son armée a été détruite et il a été fait prisonnier par le Khan Konchak.
Les interprètes, slaves mais pas nécessairement russes (de même que le directeur musical, le metteur en scène et tous les autres intervenants de la production), sont tous excellents. Outre Oksana Dyka, il faut aussi nommer entre autres Ildar Abdrazakov, qui joue avec assurance le rôle du prince Igor, la mezzo géorgienne (donc pas du tout slave celle-là, m'indique l'érudit en résidence)  Anita Rachvelishvili, qui nous offre une remarquable et sensuelle Konchakovna (fille du Khan), de même que la basse slovaque Stefan Kocan, qui incarne le Khan.

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Dommage que la mise en images pour le cinéma, qu'on appelle pompeusement la réalisation et dont on se passerait la plupart du temps, ait été particulièrement pourrie. Des gros plans, très peu de vues d'ensemble, de quoi égarer le cinéphile.
J'ai appris après coup que les choristes qui chantaient dans les danses povtoliennes se tenaient sous la scène: aucun moyen de le savoir en écoutant la retransmission puisque la caméra n'a jamais daigné nous montrer ces choristes. Frustrant, vraiment.
En revanche, les interviews étaient fort intéressantes, malgré quelques moments confus dus à la présence d'une interprète (les artistes cessaient de parler russe et se mettaient à l'anglais, de sorte qu'elle devenait inutile!) et au trac du nouvel hôte des lieux, Eric Owens.

De plus, il était fascinant d'observer les changements de décors: des structures gigantesques pour la mise en place d'un édifice dévasté par les bombardements, les feux allumés (par les survivants) dans des poubelles et même dans une baignoire!
Bref, j'ai bien fait de rester...

 

02/03/2014

Tour de magie à l'opéra

Le théâtre, l'opéra, toute performance sur scène procède d'un art de l'illusion parfois poussé très loin.

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(La basse Mikhail Petrenko © Cory Weaver, Metropolitan Opera)

Une prodigieuse illustration de cela me fut proposée par la trajectoire d'un mannequin, lors de la projection de l'opéra Le Prince Igor  au cinéma Jonquière, en direct du Metropolitan Opera.
Cette trajectoire, seuls ceux qui ont vu l'opéra dans un cinéma ont pu la suivre, alors que les spectateurs présents dans la salle du Met n'en ont rien vu, puisque l'illusion dont je parle était justement conçue à leur intention.

Le mannequin: une copie grandeur nature du prince Galitsky.  Celui-ci, le méchant de l'histoire, règne en despote sur la ville de Poutyvl en Russie (aujourd'hui en Ukraine!), pendant que le prince Igor son beau-frère est retenu prisonnier dans un camp par le chef des Polovtses.
Galitsky, Vladimir de son prénom, trouve la mort dans une bataille à la fin du deuxième acte. Mais le mannequin, doublure inerte de Vladimir, ou plutôt du chanteur qui l'incarne, est allongé par terre et dissimulé derrière une table avant même le début de l'acte, comme nous avons pu le voir sur les images du changement de décor diffusées à l'écran pendant l'entracte.

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Le mannequin est donc là, invisible, dès le début de la scène dans laquelle nous pouvons voir Mikhail Petrenko, qui incarne Vladimir, chanter, jouer son rôle de méchant, interagir avec les autres artistes, jusqu'à l'attaque des Polovtsiens.

Après celle-ci, quand se dissipent les bruits, la fumée et la confusion, Vladimir est étendu au sol, sur le ventre, manifestement mort. Impossible de s'y tromper, c'est bien lui: le costume, la chevelure, et jusqu'à cette légère couronne dégarnie au sommet du crâne, que l'on reconnaît immédiatement car le dessus de sa tête est orienté vers la salle.prince igor,borodine,tcherniakov,ildar abdrazakov,oksana dyka,mikhail petrenko,metropolitan,cinéma jonquière

À l'entracte qui commence ensuite, l'hôte et animateur Eric Owens se tient sur la scène dévastée en compagnie justement de Mikhail Petrenko qui lui accorde une interview. Derrière eux, deux techniciens se présentent, font un petit signe de la main signifiant "on s'excuse" et repartent avec... le mannequin représentant Vladimir, qui gît toujours sur la scène!

Ce fut un moment extraordinaire, une sorte de clin d'oeil...  assorti d'un léger malaise. Comme un tour de magie dont le secret nous aurait été dévoilé par erreur.
Je me suis demandé pourquoi on avait eu recours à un mannequin, une doublure en quelque sorte, pour représenter le corps de Vladimir. Il me semble que Mikhail Petrenko aurait pu tout simplement s'étendre par terre et faire le mort.

Il y a sans doute de bonnes raisons à cela, mais je ne les connais pas. Tout ce que je sais, c'est que ce moment nous a donné un fascinant aperçu de ce qui peut se tramer en coulisse, et de tout ce qui nous est caché quand on est spectateur dans une salle.

(Mes propos sur la production elle-même dans le prochain billet).