Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

03/11/2009

Ubu Roi : sombre et jouissif

afficheTetesUbu.jpgJ'ai bien aimé Ubu Roi d'Alfred Jarry (photo plus bas, à droite) tel que présenté par les Têtes Heureuses . Le metteur en scène Rodrigue Villeneuve dépouille quelque peu le père Ubu  (Christian Ouellet, formidable) de sa graisse et de ses atours. L'ogre putride prend les traits d'un homme, que l'on peut appréhender... et haïr de toutes nos forces.
Dans cet Ubu grotesque, vulgairement satisfait de son sort et de sa merdre (merde, mère, meurtre...), la mère Ubu fait germer (sans que l'on sache pourquoi) l'ambition de devenir roi de Pologne. Pour cela, il faut tuer le roi Vencesclas. Parallèle évident avec le Macbeth de Shakespeare,  que Rodrigue Villeneuve a mis en scène en 1993. (Le personnage d'Ubu a été à l'origine inspiré à Jarry par un professeur de lycée, image en mode mineur du despote sanguinaire et sans coeur.)  Transformé en tyran, l'ancien imbécile heureux assume à fond ce nouveau rôle, abusant  (et c'est peu dire) de son pouvoir pour s'enrichir, dominer, torturer et tuer. (Ça ne vous rappelle pas quelque chose?)

alfredJarry.jpg Thématique militaire, agrémentée d'éléments de cirque et d'une imagerie de bande dessinée, pour illustrer de façon intelligente et pertinente la dérive du père et de la mère Ubu, souverains qui s'en prennent à leurs sujets, tels des parents tuant leurs enfants sans aucun état d'âme.
Malgré quelques bons gags bien gras, quelques expressions récurrentes amusantes ("par ma chandelle verte") et quelques répliques dont le comique est bien rendu, c'est le côté sombre de cet Ubu Roi qui, dans la pénombre avec laquelle joue l'éclairage, est mis en valeur (en lumière!). De ce texte, le metteur en scène retient et transmet le regard dur et désespéré qu'il promène sur l'être humain, sa cruauté, ses bassesses, accentué par les projections sur grands écrans de scènes de guerre, de torture, d'exactions, bien réelles celles-là.  Voilà que le surréalisme, l'absurde et le grotesque donnent soudain froid dans le dos.
Onze acteurs superbes, tous des hommes, magnifiquement dirigés, jouent tous les rôles: militaires déjantés, roi, reine et prince, nobles et manants, et même un ours! Martin Giguère incarne avec une hallucinante aisance la mère Ubu: au lever du rideau, il (elle) est présenté en pleine activité de fornication avec son compère. Le comédien endosse pleinement la gestuelle, la  démarche, les mimiques féminines et coiffe les perruques les plus fantaisistes... tout en conservant ses poils aux jambes.
afficheUbu.jpgLe public est assis de chaque côté de la scène, grand plateau central qui occupe toute la longueur de la salle. Celui-ci est dépouillé, tandis que les deux extrémités sont chargées: escaliers, échelles, rampes, balcons ajoutent un étage qui donne un peu d'air à l'aire de jeu.

Et ce jeu, il est vivant et fascinant: les scènes sont brèves, les comédiens se déplacent beaucoup et changent constamment d'attitude, de style, de costumes: ils parlent, murmurent, crient, défilent, chantent, courent, rampent, s'agenouillent, grimpent, descendent,  tombent sous les coups... et se relèvent: c'est dynamique, bien rythmé, jamais ennuyant. ubuRoiLivre.jpg

Décors et accessoires minimalistes. Musique riche et variée, sono bien synchronisée avec l'action:  les innombrables coups de feu s'entendent au moment précis où s'ébauche le geste du tir.
(Je déteste habituellement quand on pointe des fusils sur scène, non pas par principe moral, mais parce que ça me fait peur, me met mal à l'aise et me donne des sueurs. Mais dans ce cas c'est supportable car le son des coups de feu provient de lointains haut-parleurs, et non pas directement des armes pointées.  À la longue, cela en devient presque comique.)
Un Ubu Roi fort intéressant, très réussi et qui fait réfléchir. C'est à ne pas manquer. Représentations jusqu'au 15 novembre, du jeudi au samedi à 20 heures, et le dimanche à 14 heures au Petit Théâtre de l'UQAC.

Des blogueurs du Saguenay-Lac-Saint-Jean ont commenté et critiqué cette production:

Dario Larouche | Mike the Mike | Jacques B Bouchard |

Les commentaires sont fermés.