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16/02/1996

Interview avec Larry Tremblay, 1996

(Article paru dans Le Quotidien, février 1996)

(Photos et titre ajoutés par moi en 2011)

Dans "The Dragonfly of Chicoutimi"

Gaston Talbot perd la parole et trouve un langage

par Denise Pelletier

CHICOUTIMI (DP) - Auteur dramatique originaire de Chicoutimi, Larry Tremblay vient de publier aux éditions Les Herbes Rouges «The Dragonfly of Chicoutimi», une pièce de théâtre en anglais, jaquetteDragonfly.jpgdu moins est-ce ce que l’on croit lorsqu’on en parcourt rapidement les premières pages.
«Ce n’est pas vraiment le cas: c’est écrit en anglais mais avec une structure française», a-t-il expliqué dans une interview réalisée alors qu’il était de passage dans la région pour animer un atelier du Théâtre populaire d’Alma. «The Dragonfly of Chicoutimi», rappelons-le, a été très appréciée lors de sa première présentation, au Festival de Théâtre des Amériques, dans une mise en scène de  Larry Tremblay. L’unique comédien de cette pièce produite par le Théâtre d'Aujourd'hui, Jean-Louis Millette, a d’ailleurs remporté le prix de la meilleure interprétation masculine lors du dernier Gala des Masques du théâtre québécois.
«Les anglophones trouvent le texte poétique, car j’emploie des tournures de phrases qui leur sont étrangères, celles du français. Quant aux francophones, ils s'aperçoivent qu'ils n'ont pas besoin de maîtriser totalemenLarry Tremblay, The Dragonfly of chicoutimi, Gaston Talbot,1996t l'anglais pour apprécier la pièce: ils en saisissent le sens général et les émotions passent grâce à la performance de l’acteur», explique Larry Tremblay.
L’idée de la pièce part d’une question angoissante qu’il se pose régulièrement: va-t-on encore parler français au Québec dans 25 ans? Pensant à cela, au restaurant, il a sorti le petit calepin qu’il traîne toujours avec lui, écrit une première phrase: elle était en anglais. Puis il a continué: «je savais que ce n’était pas du vrai anglais, alors je ne me préoccupais ni de censure, ni de grammaire». Cet anglais venait de très loin: «je ne suis pas parfait bilingue, dit-il, mais je me suis aperçu que pendant toute ma vie j’ai absorbé des rythmes, des mots, des sons de l’anglais, en particulier à travers la musique que j’écoutais adolescent, celle des Who et des Beatles par exemple. Tout cela s'est glissé de façon plus ou moins consciente dans mon écriture».
Le personnage de la pièce, Gaston Talbot, un homme d’un certain âge, évoque son enfance à Chicoutimi, sur la rue Sainte-Anne, notamment ses jeux dans la forêt voisine et sur les bords de la rivière aux Roches: c’est effectivement le décor dans lequel s’est déroulée l’enfance de Larry Tremblay.
L’auteur nous explique que l'ironie avec laquelle s'exprime Gaston Talbot dissimule un drame, dont les éléments sont dévoilés progressivement, «comme un oignon dont on enlèverait peu à peu les pelures: ce n’est qu’à la fin, quand tous les faits son connus, qu’on se rend compte qu’il s’agit d’une tragédie», dit-il. Long poème ou délire surréaliste, ce texte demeure pour Larry Tremblay l’incarnation, dans un drame humain concret, d’une angoisse politique.
Une fois le texte écrit, L,auteur l’a proposé à Jean-Louis Millette, qui a immédiatement accepté de le jouer. «Une pièce jouée par un seul comédien est très exigeante au point de vue de la mise en scène: il faut gérer avec précision l’énergie de l’acteur. D'Ailleurs Jean-Louis Millette est généreux, exceptionnel dans ce rôle», dit-il. Le spectacle sera repris en avril prochain au Théâtre d’Aujourd’hui, et peut-être ensuite à l'extérieur du Québec, selon la disponibilité du comédien.
Pour ceux qui n'auront pas l'occasion de voir la pièce sur scène, la lecture du texte pourrait s'avérer en elle-même une expérience esthétique et émotive de qualité. C’est en effet l’oeuvre d’un véritable dramaturge. Il sait parfaitement relier les détails quotidiens aux interrogations métaphysiques angoissantes: de l'enfant qui suce un popsicle à l'adolescent qui collectionne les bâtons de popsicle pour en faire des «oeuvres», jusqu'à l'homme qui s'interroge sur lui-même et sur le sens de la création, la pièce de Larry Tremblay propose un parcours sans faute. Il manie aussi avec une redoutable efficacité cette métaphore de la domination exprimée dans les rapports entre l'anglais et le français.
Enfin, la narration de ce cauchemar extraordinaire dans lequel Gaston Talbot se voit au jour de ses sept ans, tentant de convaincre sa mère qu’il est son fils, et finissant par devenir une monstrueuse libellule (dragonfly), est tout simplement extraordinaire.